vendredi 8 mai 2015

THE OFFENCE de Sidney Lumet (1972) par Luc B.


A la fin des années 60, Sean Connery en a un peu marre des bondieuseries... C’est George Lazenby qui reprend le rôle de 007 dans AU SERVICE DE SA MAJESTE (1969), mais le film fait un flop. United Artists supplie Sean Connery de renfiler le smoking et l'Aston Martin. L'acteur pose ses conditions. Ok pour tourner LES DIAMANTS SONT ETERNELS (1971), mais on le laisse produire deux films indépendants. Dont celui-ci, THE OFFENCE, tiré d’une pièce de théâtre de John Hopkins. Sean Connery fait appel à Sidney Lumet, avec qui il avait travaillé sur LA COLLINE DES HOMMES PERDUS et LE GANG ANDERSON dont nous avions déjà parlé  - - on clique ici - -. Sean Connery s’entoure d’une équipe légère, s'investit dans l’écriture, convie ses potes acteurs anglais, le tournage est court, bonne ambiance, tout le monde est content et satisfait. Sauf que...

Trevor Howard, Sidney Lumet, et Sean Connery
Quand les pontes d’United Artists voient le résultat, ils s’étranglent de rage. Comment vendre un machin pareil ?! Les premières projections sont désastreuses, les spectateurs décontenancés, le film sera distribué « comme on jette un vieux mégot par la fenêtre » dira un Sean Connery dépité. Une honte ! Les bobines seront enfermées à double tour dans les tiroirs, le film ne sera jamais diffusé à la télé, ni projeté en salle en France avant 2007 ! 

Il faut dire que ni le sujet, ni la manière de le traiter ne correspond aux canons de l’époque. THE OFFENSE est précurseur de nombreux Polars des années 80-90, avec ces flics qui côtoient le Mal au quotidien, qui perdent pieds, ne distinguent plus la frontière.
    
Ca commence sans dialogue, avec des images au ralenti, une musique contemporaine, cotonneuse, une sorte de prisme rétinien au milieu de l’écran. Effet visuel très daté 70's. Il semble qu’on soit dans un commissariat, ça court, ça hurle, parce qu'un homme, l’inspecteur Johnson, vient d’en massacrer un autre. Qui, pourquoi… Quand Johnson sort de sa léthargie, il prononce juste : « Oh my god »… 

Flash-back. Toujours pas de dialogue, Sidney Lumet nous raconte tout par l’image. Une école, la sortie des gamins, beaucoup de parents qui les récupèrent, pressés, et un dispositif policier impressionnant. On suit une gamine en trench coat blanc qui repart seule. A l’entrée d'un tunnel, elle est abordée par une silhouette. La petite Janie sera la quatrième victime d’un pédophile, que la police tente d’appréhender depuis des semaines. On est en banlieue, en Angleterre, il flotte sur la lande boueuse et les parkings en béton. Chouette ambiance. Très sympa.

Les scènes de nuit sont tellement obscures (ce qui a horrifié les producteurs), qu’on distingue à peine les personnages qui composent la battue pour chercher la petite Janie. C’est Johnson qui la trouve, et la scène est ambiguë à souhait. Johnson la sauve, mais s’il l’agressait, Lumet n’aurait pas filmé autrement. 

Plus tard un suspect est arrêté, Kenneth Baxter. Antipathique à un point rarement égalé ! Quand Johnson lui tape sur la gueule, on se dit qu'il le mérite bien ! Et il y a un détail qui trouble, le suspect et le flic portent tous les deux la moustache, et de loin, on se dit qu'un témoin pourrait les confondre... Rien n’est fortuit.

La suite du film sera la succession de longues séquences, en face à face. Mais Lumet gomme l’origine théâtrale par sa science du montage, non linéaire, en télescopant la chronologie, ajustant les pièces du puzzle. Avant ces confrontations, Sidney Lumet montre des images violentes, dans un style presque onirique : un pendu, d’un homme jeté d’un toit, une femme nue ligotée… Fantasmes, réalité ? 

Ces images prennent sens quand Johnson rentre chez lui, et s'oppose à sa femme. Il est odieux, il boit, lui répète qu’elle est laide. Elle le supplie de parler, de ne pas laisser leur relation crever à petits feux. Mais comment parler de ce qu’il ressent, ce qu’il voit tous les jours. Des meurtres, des viols, de la souffrance, du sang. Alors okay, il va lui raconter, tout, et elle va vomir aux chiottes. Johnson dit qu’il a l’esprit comme dévoré par des asticots. 

Ian Bannen
Il y a la confrontation entre Kenneth Baxter et l'inspecteur Johnson. Interrogatoire musclé, le suspect est insolent, nie, fanfaronne. Sidney Lumet ne nous montre pas tout. Volontairement, il passe à une autre longue séquence entre Johnson et son chef, le superintendant Cartwright. Ça rappelle GARDE A VUE de Claude Miller, avec Ventura qui tourne autour de Serrault. Cartwight essaie de comprendre pourquoi Johnson a pété les plombs, pourquoi il est persuadé de la culpabilité de Baxter, sans preuves matérielles. 


Sidney Lumet revient à la séquence d’interrogatoire de Kenneth Baxter et comble les vides. C’est génialement mis en scène, juste ces deux types dans une pièce presque vide, mais l’espace, la profondeur de champ, la valeur des plans, tout est millimétré. Et la vérité apparait, les rapports de force s’inversent, tout bascule... 
  
On revient à la première scène du film, le « Oh my god » de Johnson, les voix d'enfants, et tout prend sens...

THE OFFENCE est un film qui met mal à l’aise. Parce que le dispositif de Sidney Lumet, nous fait découvrir la face cachée de son héros, par étape, par agencement, parce qu'on parle de pédophilie, de déviance, mais jamais de notion de Bien ou du Mal. THE OFFENCE est un film maudit, mal aimé, mal compris, sans doute trop en avance, évacué des écrans, planqué sous le tapis comme un souvenir honteux. Alors qu'il est original, brillamment écrit et mis en scène. Sean Connery paiera cher cette audace, ce courage artistique d’aborder un tout autre registre que le divertissement. Inutile de dire qu’il y est prodigieux, sans doute son rôle le plus fort. On appréciera aussi la prestation de Trevor Howard (BREVE RENCONTRE, LE TROISIEME HOMME, LES REVOLTES DU BOUNTY, LA FILLE DE RYAN…) Ian Bannen (on connait sa tête) et Peter Bowles (on connait sa tête).    


THE OFFENCE (1972)
Couleurs  -  1h52  -  format 1:85

La bande annonce d'origine


ooo

2 commentaires:

  1. Suis sur le cul! Connaissais pas du tout ce film dont tu parles très bien. Tu m'étonnes que ça doit être un film maudit, et pardonne moi cette digression, à l'image de la Porte du Paradis de Cimino, et du vote Anglais hier dont la City se félicite....J'étais pessimiste je deviens dépressif...
    Ça va passer..

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  2. Ravi de te l'avoir fait découvrir, ça vaut le coup d'oeil, mais ce n'est pas un "spectacle" plaisant... La première fois que je l'ai vu, ça a été assez traumatisant ! Un bon verre, ou une cigarette qui fait rire, et ça ira mieux...

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