vendredi 3 juillet 2015

DERRIERE LA PORTE VERTE de Jim et Artie Mitchell (1972) par Luc B. comme braquemart.


Dans le cinoche, il y a les frères Dardenne, les frères Coen, les Taviani, les Wachowski… et les frères Jim et Artie Mitchell. On les oublie, ou on ne les connait pas. Dommage… Dans le San Francisco de la fin des années 60, les frangins étudient le cinéma à l’université, et dissèquent les films de Jean Luc Godard. Pour gagner du fric, ils achètent une petite salle de cinéma, et diffusent des petits films érotiques. Des loops. Des bandes de quelques minutes, qu’on passe en boucle toute la journée, avec à chaque fois une fille qui se dessape, éventuellement avec une copine, mais on ne se touche pas, interdit. Pour l'instant... Des films pas chers, qui rapportent, réalisés à la chaine, parfois par les frères Mitchell eux-mêmes.  

Le petit commerce prospère, d’autres salles sont ouvertes, qu’il faut fournir en bobines. Mais la police descend de temps en temps, et confisque les films. Quitte à prendre des risques, autant que ça rapporte plus. Les frères Mitchell passent au court métrage, puis au long. Ils investissent dans du bon matos, enregistrent en son direct, utilisent des musiques originales (le guitariste Mike Bloomfield en a fait quelques-unes) et surtout, ils signent leurs films. Pour la première fois, un porno aura un générique. Les Mitchell Bros ont l’ambition de faire du porno un genre à part entière. GORGE PROFONDE sort la même année, un désastre artistique, mais gros succès public. Ces deux films lancent l’ère du Blue-Movie.

DERRIÈRE LA PORTE VERTE est au porno ce que 2OO1 est à la science-fiction ! Un truc énorme. Euh… cherchez pas, y’aura pas une allusion salace (car à force, ça lasse) dans cette chronique, ici, on ne parle que de cinéma. Mais éloignez les enfants quand même…

L’histoire est toute simple. Une jeune femme est enlevée par des hommes (un des frangins joue un kidnappeur), emmenée les yeux bandés dans un club privé, où elle sera sexuellement utilisée par… tout le monde ! Le tout dans une ambiance feutrée, chandeliers, queues de pie, robes de soirée, loups et masques vénitiens. Les clients du club regardent les performers, avant de s’y mettre aussi. Rarement on avait vu autant de bourgeois lubriques copuler. C’est l’ancêtre du porno-chic. Mais avec ce parfum de clandestinité, de fantasme, mais aussi de décadence (assumée) et de perversité, de liberté totale. Que se passe-t-il derrière cette fameuse porte verte ? Cette même question perdra le héros du EYES WIDE SHUT de Kubrick... 

DERRIÈRE LA PORTE VERTE ne se contente pas d'être bandant par les images qu'il montre, mais par ce qu'il suggère. Il est excitant car basé sur le voyeurisme, la clandestinité. Le club privé où se déroule cette orgie est tenu secret. Il faut être initiés pour y entrer. La jeune femme ne saura jamais qui, où, pourquoi... Le film utilise aussi l'idée de la femme-objet sexuel, entièrement offerte aux membres. Aux membres du club. Elle ne dit pas un mot du film ! On se fiche éperdument de savoir si elle est consentante, ou non. Ca aussi ça titille l'entrejambe, ce non respect des conventions. Le spectateur novice se disait : ainsi ça existe vraiment, des endroits pareils, des gens pareils ? On est en plein trip, on est jeune, libre, on est tous frères et sœurs de baise, et le mot d'ordre est : jouissons. DERRIÈRE LA PORTE VERTE est aussi le premier film où une femme blanche a des rapports sexuels avec un homme noir.

Le film aligne des scènes à la fois sensuelles, délicieusement obscènes, et acrobatiques, notamment la fameuse séance des trapèzes, bien montés par des types en collant blanc découpés à l’entre jambe ! L’héroïne y fait preuve d’un talent buccal certain. Elle passe entre les mains expertes de quelques dames, accessoires en prime. Les éclairages sont soignés, on se croit dans un théâtre d’avant-garde, une performance arty. Et comme on est en 1972, les frères Mitchell usent d’artifices psychédéliques, effets de superposition d'images, prismes, solarisation (rappelant, donc, 2OO1) ralentis, dans une scène mémorable d'éjaculation qui n’en finit pas (et dont l'actrice pourtant très à l'aise, ne garde pas un souvenir très agréable). Les réalisateurs jouent avec les filtres de couleurs comme Godard dans LE MÉPRIS !  

La Brigitte "tu les trouves jolies mes fesses" Bardot des frères Mitchell, c’est Marilyn Chambers. Elle est radieuse, ne correspond pas au physique type, elle est la parfaite ingénue, belle, douce, dévoilant une lubricité sans limite. A l’opposé d’une Linda Lovelace, actrice de GORGE PROFONDE, minaudant comme une pouffe de télé réalité la sucette entre les dents. Marilyn Chambers, serveuse seins nus, un peu mannequin, un peu actrice, a obtenu le rôle en répondant à des petites annonces. Un des frères Mitchell lui a fait ce beau compliment : "tu as un visage sur lequel tout garçon aimerait poser sa bite". C’est-y pas romantique ?

Son contrat stipulait qu’elle choisirait ses partenaires, ne serait contrainte à rien, et qu’elle toucherait un pourcentage sur les recettes. Et elle a bien palpé. Parce que propriétaires de leurs salles, les Mitchell contrôlaient toute la distribution. Et ont vendu leur film avec un bon plan marketing. Il y avait une pub célèbre à l’époque, pour les savons Ivory, dont le slogan disait : « pur à 99.44% ». Les frères Mitchell le détournèrent sur leurs affiches, sous une photo de l’actrice, on lisait « impure à 99.44% ». Génial !   

Marilyn Chambers faisait étalage dans ses interviews de toutes ses expériences, sa philosophie de vie basée sur le sexe, c’était l’époque où les acteurs pornos étaient en vogue, amis des stars, des people qu’il était d’usage d’inviter à Hollywood. Certains s’y voyaient déjà, et s’y sont cramés les poils. Le circuit X n’était pas encore un placard honteux, on était en pleine contre-culture, et le public se pressait dans les salles. En Europe, les critiques de cinéma relayaient le succès du film, se pâmaient devant ce joyau porno, croisement de Godard et Bergman. Il sera projeté à Cannes.

Les frères Mitchell et leur muse tourneront l’année suivante LA RÉSURRECTION D’EVE, et travailleront plusieurs années ensemble sur des spectacles live. Marilyn Chambers meurt d’une crise cardiaque en 2009. Les frangins, accros à la coke, ont fait pas mal de passages en taule. Ils arrêtent le cinéma pour se consacrer au théâtre, mais y reviennent avec une PORTE N°2 en 1986, toujours verte, mais sans leur actrice légendaire. En 1991, Jim Mitchell abat son frère Artie d’un coup de fusil. Dispute con-fratenelle... Il sera condamné, emprisonné, puis libéré, et meurt en 2007. Un téléfilm avec Emilio Estevez et Martin Sheen (deux frères dans la vie) retrace leur vie.

Triste parcours pour ces deux frères, nababs hippies du porno californien, qui ont laissé à la postérité ce film considéré comme le chef d'oeuvre du genre, expérience visuelle délirante. De l'art ou du cochon ? Les deux mon colonel.  


BEHIND THE GREEN DOOR (en VO)
couleur  -  1h15  - format 1:37   


Ah bah zut, la bande annonce elle ne marche pas... hé hé hé, bandes de vieux cochons... 

5 commentaires:

  1. Houla !? Houla ? Houlala !!!!

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  2. Nom di diou ! Quelle culture !!
    Et après on se demande se qui provoque la canicule !


    (notre compteur de fréquentation vient de passer au rouge - c'est un nouveau record -)

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  3. Jim Mitchell aurait du tirer sur son frère avec son pistolet à moustache. Ça n'a jamais tué personne...
    - Ohhhh M'sieur Claude, vous êtes d'une vulgarité !!!
    - Désolé Sonia, et ne jouez pas les saintes-nitouches....

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  4. La pochette de "Sticky fingers", ce film ...
    Tu vas finir par faire la fortune des psychanalystes.

    Ce film a inspiré (entre autres) les Cramps pour un titre assez démoniaque ("Green door"), interprétation psychopathe qui donne pas envie de pousser la porte verte pour voir ce qu'il y a derrière ...

    Seulement 1'47 d'extrait ... pfff ...

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    1. 1'47... Pourquoi, toi aussi t'as essayé de regarder l'extrait ?...

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