vendredi 25 septembre 2015

MARGUERITE de Xavier Giannoli (2015) par Luc B.



Le film s'inspire d'une histoire réelle, celle de Florence Foster Jenkins, une riche héritière américaine. Rebaptisée Marguerite Dumont, qui en 1921 régale de ses récitals privés le Tout-Paris, dans le cadre du Cercle Amadeus, le rendez-vous des mondains.

Et ce soir-là, on se presse au domicile des Dumont pour l’écouter. Couloirs feutrés, velours rouges, bruissement des discussions... viendra-t-elle, ou pas... Les invités attendent la prestation de Marguerite avec autant d’impatience que les spectateurs dans la salle de cinéma. La diva se fait attendre. Il manque son mari, George Dumont. Qui simule une panne automobile pour rater sciemment le concert. Car Marguerite Dumont chante faux. Affreusement faux. Ca fait des années que ça dure. Elle est la risée de tous, mais ne s’en rend pas compte. Et personne n’ose lui dire.

Influencée par Lucien Beaumont, journaliste proche de l’avant-garde qui cherche à faire un coup médiatique, Marguerite Dumont accepte de chanter dans un cabaret. Un poète surréaliste éructe d'abord un texte aux côtés d’une danseuse nue, on croise des travelos bonnes sœurs, une femme à barbe, et voilà Marguerite Dumont massacrant joyeusement la Marseillaise pendant qu’un film de la guerre 14-18 est projeté sur la robe blanche ! Le public s'étrangle, scandale, hurlement, bagarre générale, descente de police !

MARGUERITE se situe à cette époque où les expérimentations artistiques d’avant-garde (les dadas, les premiers surréalistes) faisaient trembler les bonnes moeurs. Pour ces doux provocateurs, Marguerite Dumont est une aubaine. Elle est la provocation incarnée, une gifle au bon goût. Mais elle ne le sait pas. Elle vit dans un monde fantasmé. Son majordome, le dévoué et omniprésent Madelbos, la photographie dans des pauses de tragédienne, en costume wagnérien. Marguerite expose ces photos comme des trophées, persuadée d’avoir arpenté les scènes du monde entier.

Il y a beaucoup de SUNSET BOULEVARD (Billy Wilder, 1950) dans ce film, avec cette vieille femme momifiée dans ses souvenirs, espérant un retour en grâce, son majordome qui manigance, manipule. Le film génère un certain suspens : Marguerite va-t-elle apprendre la vérité ? Par qui ? Qu’arrivera-t-il alors ?  Car elle se pique de chanter à l’Opéra, et pour cela, engage un professeur de chant pour se perfectionner ! Un professeur (génialement joué par Michel Fau) ahuri d’entendre ce qu’il entend ("la reine de la nuit" de Mozart !), mais… une enveloppe de billets le dissuade de dire la vérité.
 
C’est un film sur le mensonge, la tromperie, le déni, la lâcheté, les apparences, les rêves. Des thèmes qu’on retrouve déjà dans les précédents films de Xavier Giannoli, comme A L’ORIGINE avec François Cluzet, QUAND J’ETAIS CHANTEUR avec Depardieu, ou SUPERSTAR avec Kad Merad. Marguerite chante par amour de la musique, réel, pour son mari qu’elle respecte infiniment. Elle demande toujours « mon mari est arrivé ? » et Madelbos répond invariablement « il ne va pas tarder, madame »

Évidemment, George Dumont trompe sa femme. Juste une histoire de cul, mais le Tout-Paris le sait. George (André Marçon, impeccable) aime sa femme et souffre de la voir ridiculisée, raison pour laquelle il n'assiste jamais aux représentations. Mais il souffrirait encore plus si Marguerite découvrait qu'elle chante comme une casserole, et qu'elle était la risée de son entourage. Que faire ? Drame cornélien ! 

La fin est très réussie (la dernière photo de Madelbos...) et pendant un récital, ce moment de grâce, quelques secondes où la voix de Marguerite est juste, puissante, magnifique. C’est troublant, est-ce réel ou notre imagination ? La mise en scène est très travaillée, la reconstitution est soignée sans être ostentatoire (pas de plan à la "t'as vu comme il coûte cher mon décor"), ça ne sent pas la naphtaline. La photographie est superbe, couleurs dé-saturées, relevées de temps à autres de taches rouges. Les acteurs sont excellents - mention à Denis Mpunga dans le rôle de Madelbos - le jeu est vif, moderne, loin d’une théâtralité attendue (et redoutée). Ni académique, ni pompeux.

Comme d’hab’, le film est sans doute trop long (2h10) le réalisateur se laissant bercer par sa propre bande originale (que des tubes) oubliant de dynamiser son récit dans la seconde partie, de raccourcir ici et là. Il y a pas mal de personnages secondaires, tant mieux, mais certains rapports sont trop peu développés, comme l’idylle entre Beaumont est la jeune chanteuse, peu consistante, et finalement hors de propos.

Ces réserves faites, MARGUERITE et un grand et beau film, très agréable à regarder, une histoire originale, un projet à la fois grand public, et pas banal, par son sujet, l'exigence de sa réalisation. Catherine Frot crée une Marguerite extrêmement attachante, plus profonde qu'il n'y parait. L’abatage de la comédienne devrait attirer le public. 

L'anglais Stephan Fears tourne sa propre version de l'histoire, avec Merryl Streep dans le rôle de Mrs Jenkins.


MARGUERITE, scé et réal. Xavier Giannoli
couleur  -  2h07  -  format scope 



ooo

6 commentaires:

  1. C'est en lisant un article récent dans le nouvel Obs (qui m'a fait rire aux larmes) et consacré a cette fameuse Madame Jenkins, que je me suis précipité voir "Marguerite". Pensant d'abord me payer une bonne tranche de rigolade en entendant les vocalises de la Donzelles, je me suis vite aperçu de mon erreur quant aux intentions de son réalisateur. Ce film est bel et bien un drame et non une comédie hilarante. Quoi qu'il en soit, c'est un film absolument génial. Quel magnifique travail de reconstitution de ces années folles ! Et puis les acteurs sont absolument remarquables comme tu l'as souligné Luc. Du César(s) dans l'air il y a !

    J'attend avec impatience le biopic de Stephen Frears.

    Claude, c'est pour toi !!!

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  2. Avec FROT, c'est gagné d'avance !

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  3. Une tragi-comédie, oui... On rit parfois, on sourit souvent, mais au final, ce qui est raconté est dramatique ! Les intentions des personnages Sans compter la fin, dont je n'ai rien dit, mais qui est à l'opposé du happy end classique... Quelle bandes de faux-derches à eux tous !

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  4. Oui Luc. Toute la bassesse, le cynisme et la cruauté humaine est ici représenté avec une réelle maestria. Gros coup de cœur personnel.

    Dans un registre complètement différent, j'ai osé ce film relatant la naissance du Gangsta-Rap et racontant le succès et déboires des Dr Dre, Eazy-E ou autre Ice Cube. NWA : Straight Outta Compton est a voir absolument ! Qu'on aime ou pas (ce qui est mon cas) le Rap.

    Au registre de la comédie, j'ai fais chou blanc avec "Dieu existe... Il habite Bruxelles" dans lequel joue Benoit Poolvoerde. Une monumentale connerie même assez vulgaire.

    C'est tout pour le moment !

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  5. Le film sur le rap me tente aussi, pour découvrir un univers assez éloigné du mien !

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  6. Zi va Luc ! Yo. C'est trop d'la balle. Tu vas kiffer grave Bro' j'en suis sûr ! ;-)

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