vendredi 5 février 2016

BULLITT de Peter Yates (1968) par Luc B.



BULLITT, plus encore que FRENCH CONNECTION [ clic vers l'article ] est auréolé d’une réputation de polar musclé, viril, parce qu'il contient une poursuite de voiture boostée à la testostérone.
C'est à un peu la seule scène d'action d'un film, qui au contraire, prend tout son temps pour raconter une intrigue nébuleuse. On dit que Steve McQueen lui même, pourtant producteur, n'y comprenait rien non plus ! Ca commence à Chicago, de nuit, des types se tirent dessus. Qui, pourquoi ?...

McQueen et Robert Vaughn
Un dénommé Johnny Ross, mafieux repenti avec des tueurs aux fesses, va se planquer à San Francisco. Le procureur Chamlers s’engage à le protéger jusqu’à son témoignage devant un grand jury. Deux nuits à passer dans un hôtel minable. Et en guise de nounou, le flic le plus cool de Frisco : Franck Bullitt. Hélas, Johnny Ross se fait descendre. Chose étrange : pourquoi Ross a-t-il déverrouillé la porte de la chambre pour laisser entrer les tueurs ?...

En fait, une fois remise à plat à la fin du film, l'intrigue parait simple. Mais la mise en scène de Peter Yates la rend compliquée. Il ne présente rien, ni personne. On sait ce qu'il y a à savoir au fur et à mesure que Franck Bullitt le découvre. Le spectateur n'est pas mis dans la confidence de quoi que ce soit. Les comédiens qui jouent Ross et Rennick se ressemblent (et pour cause…), au point qu’on se dit : mais ce mec, il est pas mort y’a 40 minutes ?!! 

Don Gordon
Le film se déroule sur un week end, presque en temps réel, ce qui donne un faux rythme au film, une impression de surplace. Peter Yates choisit de montrer dans la longueur des faits qui pourrait être résumés. Exemples : quand Bullitt retrouve le chauffeur de taxi (Robert Duvall) qui a conduit Johnny Ross à l’hôtel, il pourrait simplement l'interroger. Mais on refait tout le parcours du taxi, avec les pauses... Quand Bullitt et son collègue DelGetti (le souriant Don Gordon) fouillent les valises de Rennick, à l'aéroport, c'est lent, méthodique, chaque objet défile devant la caméra. Quand les deux flics surveillent l'embarquement des passagers pour Rome, à l'aéroport, là encore, ça dure, c'est long, fastidieux... Il n'y a pas de suspens en soi, juste deux flics qui matent tout le monde.

La fouille de l'avion ou la poursuite sur le tarmac s'étire sans réel enjeu dramatique. Cet effet de langueur est amplifiée par l’absence de musique. Car si le film est célèbre pour la superbe partition jazzy de Lalo Schiffrin, écoutez attentivement comment la musique est utilisée ! Pratiquement chaque scène dite d'action, est muette de son ! Sur toute la fin, à l’aéroport, la musique ne retentit que lorsque Franck Bullitt sort son arme, alors que toute la poursuite qui précède est silencieuse ! 

Ce que filme Peter Yates, c’est Steve McQueen. Le mec le plus cool du monde, même en col roulé. Il incarne un Franck Bullitt professionnel, consciencieux, incorruptible, mais complètement désabusé, écoeuré, revenu de tout. Y cause pas, il fait la gueule. Regardez sa vie ! Merde, Steve McQueen et Jacqueline Bisset, le couple le plus sexy des 60’s !! Et ils font quoi dans ce film ? Rien. Témoin cette scène qui pour moi résume tout le film. Ils sont dans un night-club, un groupe de jazz joue, Bullitt et Cathy sont filmés en focale longue, isolés des autres, du décor, les contours flous, pas un mot. Leur vie intime ? On ne sait pas… On voit Franck Bullitt remplir son frigo de surgelés, un paquet pour chaque soir…

Jacqueline Bisset
Jusqu’à cette scène d’une Cathy dégoutée par le mutisme de Bullitt, qui vit au milieu de la violence, des morts et semble s’en accommoder. Il répond, l'oeil noir : "mais on vit tous comme ça, on est tous dans cette merde, et on sait qu’on n’en sortira jamais". C’est dit à San Francisco, en 1968, en plein Flower Power, alors qu’à trois blocs de là les Grateful Dead s’éclatent lors des acid-test. Sacré contraste. Le film ne reflète jamais le San Francisco idyllique, la douceur de l’océan, les filles aux cheveux de fleurs, les effluves odorantes. La seule scène familiale, est celle du capitaine de police qui emmène maman et les gosses à l’église le dimanche matin…

Il cause peu, Bullitt. Et de moins en moins au fur et à mesure que le film avance. Tout se joue sur les regards, comme entre lui et le chirurgien noir. Son adjoint Delgado n'est pas en reste, muet, le visage fermé. Rien n’est dit, mais tout se dit ! Par contre, Chamlers (excellent Robert Vaughn) le procureur, le politique, est un homme de verbe, de discours. C'est par les mots qu'il flatte, promet, ou menace. Mais il s’y casse les dents. Bullitt fuit ses questions. J’adore la dernière tentative de Chamlers d’exiger de Bullitt qu’il lui rende son témoin. Bullitt le regarde à peine, dit juste « plus tard », sous entendu, t'es gentil mais là, je suis occupé, coco. Lorsque Chamlers le menace, en présence du capitaine de police, Bullitt ne répond même plus, il élude, hausse les épaules, soupire et se tire !
  
Et y'a la poursuite… Trois semaines de tournage, pour de 10 minutes à l’écran, deux Ford Mustang, une verte, une noire. Et une fois de plus, absence de musique, les deux tueurs ne disent pas un mot. La bande son n’est constituée que des bruits de moteur, différents selon les modèles. Les bagnoles rugissent et rebondissent à chaque croisement. On aperçoit Alcatraz au loin, la Coït Tower (qu’on voit souvent dans VERTIGO clic vers l'article ), le port, les docks, et ces rues incroyablement inclinées. C’est filmé au ras du bitume, à 130 km/h, dans des quartiers bouclés aux passants. Steve McQueen, pilote émérite, est vraiment au volant (sauf grosses cascades, les assurances ont mis leur véto).

BULLITT est un film surprenant, désarçonnant, froid, qui ne correspond pas à ce qu'on attend d'un polar. C’est presque un anti film d’action (lardé d'éclats sanglants) qui s’attache à l’atmosphère, à la figure de son héros dégoulinant de haine et de mépris pour tout ce qui l’entoure. Ce qui n’a pas empêché le film d’être un immense succès à sa sortie. Steve McQueen est impérial, et y a gagné ses galons d'icône.

BULLITT (1968)
couleur  -  1h55  -  format 1:1,85



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13 commentaires:

  1. Belle explication de ce qu'on sent d'instinct et qu'on n'avait pas pris la peine d'analyser. Si tant est qu'on en fût capable. Oh là, je deviens consensuel, moi.
    C'est aussi un sacré défilé de "gueules" ce film (les flics, les truands).

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  2. Effectivement Steve McQueen est immense dans ce rôle et arrive presque à égaler la véritable vedette du film à savoir sa voiture: une Ford Mustang GT Fastback avec son emblématique V8 de près de 300cv.
    D'ailleurs quand on fait grimper l'aiguille compte-tour de ce fabuleux moteur, tous les groupes de heavy-métal qui ont pu l'écouter s'enfuit en pleurant.

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  3. Merci Guy pour ces précisions mécaniques. Je rajouterai que la voiture a des phares, deux, un à droite, l'autre à gauche. Voilà, c'était ma contribution technique...

    Shuffle, j'aime bien quand tu verses dans le consensuel... J'avais revu le film y'a 5 ou 6 ans, et avais été frappé... d'ennui. Ca me tracassait, fallait que je comprenne, et j'y suis retourné encore et encore pour essayer de piger !

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  4. Bullitt c'est pas du Bullshit cette toile !
    Au fait elle va mieux Jacqueline Bisset ?

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  5. Bullitt, le premier film dans lequel on voit un fax...
    McQueen ne flingue qu'une seule fois... dans la dernière scène.
    Le 1er blu-ray que j'ai acheté, avec The Song Remains The Same...

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    1. The Song Remains The Same... Tant décrié par la presse, les chroniqueurs, la presse Rock...
      Je me suis bien battu à l'époque pour dire que ce VHS ( he oui...) était un chef d'oeuvre du Rock live !

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  6. Exact. ce film est tellement culte qu'on n'ose pas dire qu'on s'y ennuie parfois. Quand on a compris pourquoi, on se sent mieux. Et on peut le revoir en s'ennuyant moins. Je vois qu'il y a des amateurs de gros moteurs. Pour ceux-là, à lire, si ce n'est déjà fait, Speed Queen de Stewart O'Nan.

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  7. Euh... "The song remains the same" est tout de même un monument de mégalomanie boursoufflé de partout !! Aujourd'hui c'est un truc qu'on regarde ahuri, on pouffe de rire toutes les 5 minutes (ahhh, Bonham sur son tracteur... tu parles d'une vision rock'n'roll !!). Mais la bande-son, oui, y'a quelque chose... Et puis le film est célèbre aussi parce que ce soir-là, y'a eu un hold-up au Madison Square, des mecs se sont barrés avec la caisse du concert, la réserve pour les feux d'artifice !

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    1. Luc,
      Tu peux me donner à l'époque des sorties de VHS live de Concert de ce type la aussi attrayant ?
      J'attends ta réponse avec impatience.

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    2. En ce qui concerne Bonham sur son tracteur, je te conseille de lire le livre suivant :

      Bonham by Bonham, my brother John. par Mick Bonham.

      Sorti en 2003 chez ISCARUS PUBLICATIONS pour la modique somme de £16,95 et tu pourras comprendre, enfin j'espère, l'attrait de Bonham pour conduire un tracteur.

      Pelle baveuse mon grand Doudou.

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    3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  8. Hard, (j'aime ce prénom...)
    Oui, je connais l'histoire de Bonham, la famille et tout...
    Qu'il n'y ait pas d'autre VHS disponibles à l'époque, je veux bien le croire. C'est vrai que c'était à l'époque un des premiers films "concert-rock" qu'on pouvait voir sur les écrans... Au delà de l'émotion nostalgique, 40 ans après, ce témoignage filmé ne rend pas justice à ce groupe extraordinaire. C'est un film daté (Page avec son archet, en quadruple écran avec effet stroboscopiques...), qui ne leur rend pas justice. A l'époque, d'ailleurs, si le film est sorti (outre les histoires de frics) c'est parce que le disque live n'était pas à la hauteur. Le concert date de 73, le film sort trois ans plus tard... Y'a pas de hasard... Mais, c'est un des rares témoignages scéniques de ce groupe, et en tant que tel, il vaut le détour... au second degré...

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    1. Je répète...
      A remettre dans le contexte de 78, avec la technologie de l'époque, et le peu... de documents sonores et visuels...
      A mettre dans les archives de l' INA.

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