vendredi 25 mars 2016

AVE CESAR ! Joel & Ethan Coen (2016) par Luc B.



Comment est-ce possible que les frères Coen soient passés à côté d’un sujet pareil ? Après trois films sombres, retour vers la comédie, et forcément, on pense tous à THE BIG LEBOWSKI, ou BURN AFTER READING. On en est loin.

Et pourtant, le sujet était en or massif. Hollywood, les années 50, et une plongée dans l’univers des Studios en compagnie d’Eddie Mannix, le fixer de Capitol Picture. C’est quoi un fixer ? Celui qui règle tous les petits problèmes des stars, tout ce qui ne doit pas se savoir pour ne pas écorner l’image idyllique, celui qui fait le ménage, passe un coup de ripolin : addictions diverses, orientation sexuelle qui fait tâche, photos compromettantes, grossesse imprévue, malversations… Son affaire du moment est de retrouver Baird Whitlock, qui a disparu entre deux prises du tournage d’Ave César, un péplum à grand spectacle sur la vie du Christ. On s’imagine la star au fond d’un bar entrain de cuver, mais Mannix reçoit une demande de rançon : Baird Whitlock a été kidnappé par des scénaristes communistes sous-payés…  

C’est pas génial comme point de départ ? Les frères Coen sont dans leur élément, d’autant qu’ils vont s’amuser à pasticher les tournages d’un tas de genres cinématographiques. On a droit aux ballets aquatiques style Esther Williams (avec Scarlett Johansson en sirène), la comédie musicale claquetée entre marins en goguette (avec Channing Tatum, vu dans LES 8 SALOPARDS), le péplum, donc, avec George Clooney en centurion bas du front, et le western acrobatique avec Alden Ehrenreich, qui joue un cowboy con comme un sac, Hobie Doyle, virtuose du lasso, à qui on demande d’intégrer le casting d’une comédie sophistiquée à la Cukor ou Lubitsch !

Il y a plein de bonnes idées, comme ces deux sœurs jumelles journalistes de caniveau, jouées par l’excellente Tilda Swinton, ou la vieille monteuse qui s’étrangle quand son écharpe se coince dans le ban de montage, jouée par Frances McDormand (madame Joel Coen à la ville), la réunion des quatre représentants des religions monothéistes pour approuver le script d’Avé César, et qui vont évidement s’écharper ! Y’a aussi les noms des protagonistes, tous improbables, la tête des terroristes communistes, le chien qui s’appelle Engels, où le fait qu’à chaque fois qu’Eddie Mannix regarde sa montre, il est l’heure pile ! Les reconstitutions de tournage sont excellentes (le format du film change selon le genre), notamment  la comédie réalisée par Laurence Laurentz, (Ralph Fiennes, aristo éduqué qui perd ses nerfs) qui doit diriger Hobie Doyle incapable de prononcer ses répliques. On verra à la fin le résultat fini de la scène en question, assez éloigné des vœux du metteur en scène !

Mais alors d’où vient cette impression de semi-ratage ? A cause d’un scénario sans liant, qui se disperse, prend presque la forme de film à sketches, donc avec du bon et du moins bon. Ca tient de l’intention, des personnages ne sont pas assez utilisés (les jumelles journalistes, ressort pourtant classique de la comédie, mais non exploité)Le film n'est pas construit. Les idées sont justes posées. L’histoire de Dee Anna Moran (Scarlett Johansson) à qui on propose d’adopter son propre enfant, est drôle, mais ne débouche sur rien. Les acteurs sont sous exploités, comme Jonah Hill (en photo sur l'affiche, 30 secondes à l'écran) ou Christophe Lambert (oui oui)… Pourquoi lui ? Pourquoi en faire un américain ?

La grande idée de départ, Baird Whitlock enlevé par des communistes, à qui on explique que le système hollywoodien représente le capitalisme à abattre, et qui se pique de philosophie marxiste, c’est excellent. Mais ça s’arrête là, ce n’est pas exploité, ni développé. On passe d’un personnage à un autre, sans trop savoir pourquoi. L’enquête de Mannix est totalement bâclée, elle est à peine montrée, comme si les Coen s’en contre-foutaient. Il y a même des scènes qui ne riment à rien, quand on connait la précision d’écriture des frères Coen.

Ainsi Hobie Doyle se retrouve mêlé au kidnapping parce que qu’Eddie Mannix lui demande son aide. Ca ne colle pas. Doyle est une starlette stupide, pourquoi Mannix prendrait-il un tel risque ? Mannix planque une valise avec les 100 000 dollars de la rançon. Mais surveille-t-il le lieu pour choper ceux qui viendront la prendre ? Non. On part du principe que des figurants auraient pu manigancer le coup, donc visionnons les rushes pour trouver des indices… Pas bête, sauf que les rushes ne sont pas ceux du jour de l’enlèvement !

Les attributions d’Eddie Mannix vont bien plus loin que ses réelles fonctions de fixer, puisqu’on le voit remanier des plans de tournages, décider d’un casting, d’un choix de réalisateur… Insensé ! Et les producteurs, ils sont où, on ne les voit jamais ! Les frères Coen ont jeté sur papier plein d’idées souvent drôles, mais rien ne semble organisé, et pour une fois, leur talent de conteur fait défaut. Pas de suspens, peu d’enjeux, on rigole à peine à l’émersion d’un sous-marin russe au large de Malibu...

Bref, ça tombe un peu à plat. On leur pardonne, aux frangins, un faux pas, ça arrive. Restent les pitreries de Clooney, en toge, toujours excellent, entre Cary Grant et un Jerry Lewis.
couleur et NB  -  1h45  -  1 :1,85 et 1:1.37



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5 commentaires:

  1. L'idée de départ était en effet excellente et devait faire saliver les cinéphiles à l'affût de la moindre allusion/citation. Mon fils l'a vu, il m'a dit que c'était trés moyen.
    Contrairement à toi, la presse a été en général assez élogieuse. Syndrome "Il ne faut pas toucher aux établis"?

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  2. La presse en a toujours un peu trop fait avec les Coen, faut dire aussi qu'ils n'ont pas raté grand chose. Donc on pardonne le faux-pas, en sachant qu'ici, le faux-pas en question reste très au dessus de ce que peuvent produire les tâcherons habituels...

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  3. Et bien nous (Les toon) on a plutôt aimé… Tu as raison Luc, on pense en effet à film à sketches qui part dans tous les sens mais ça reflète bien l'emploi du temps Eddie Mannix amené à gérer le foutoir le plus total y compris la grossesse de Scarlett Scarlett Johansson… (J'ai adoré les reconstitutions des films kitchs d'Esther Williams…). Et Puis le gars Mannix à la passion aux tripes pour cet univers loufoques puisqu'il préfèrera continuer à user son cœur avec son emploi du temps brownien en refusant un pont d'or chez Lockheed martin…
    Cela dit, oui avec vous tous… Fargo, The big Lebowski, la grande époque… Mais on avait atteint le fond, à mon sens, avec No Country for Old Men…

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  4. Le fond avec "No Country" ??? Ben merde alors ! Des fonds comme ça, j'en veux bien à chaque scéance !! J'avais trouvé "True Grit" (leur western) un peu trop ampoulé, manque de punch, en dessous de mes espérances, et "O' brother" parfois inégal...

    Oui Claude, ça reflète la journée d'Eddie Mannix, mais alors il fallait qu'il s'occupât de davantage d'affaires, or là, y'en a que deux... et qui auraient pu déboucher sur des situations plus délirantes. Je ne suis pas sûr que ses aller retours au confessionnal soient très pertinents... (franchement, la libération de Clooney, c'est très plat, décevant...)

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  5. Pareil pour moi, True Grit moyen (Bridges ferait presque regretter John Wayne) et O'brother, un peu caricatural.

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