vendredi 26 août 2016

LA CONJURATION DES IMBECILES de JK Toole (1961-80) par Luc B.


John Kennedy Toole
Ce livre a été élevé au rang de roman culte, tant par son contenu, que par la tragique histoire de son auteur. John Kennedy Toole, est né en 1937 à la Nouvelle Orléans. Il se pique très tôt de littérature, écrit LA BIBLE AU NEON dès l’âge de 16 ans. Il expédie le manuscrit partout, mais aucun éditeur ne le sélectionne. En 1961, il est enrôlé sous les drapeaux, et en profite pour écrire son second livre LA CONJURATION DES IMBÉCILES. Deux ans plus tard, il revient vivre chez ses parents, enseigne dans un collège, et tente une nouvelle fois de se faire publier. En vain. Considérant LA CONJURATION comme son chef d’œuvre, Toole est écœuré, sombre dans la dépression. Il comprend qu’il restera un écrivain de l’ombre, un raté, et se suicide en 1969.

Sa mère tente une autre approche. En 1976, elle contacte Walker Percy, professeur d’université et écrivain, à qui elle soumet le manuscrit de son fils. Percy, d’abord réticent (on lui fait ce genre de demande régulièrement) accepte de lire le bouquin, et en tombe de sa chaise. LA CONJURATION DES IMBÉCILES sera édité en 1980, obtiendra un grand succès, et son auteur JK Toole sera lauréat du prix Pulitzer à titre posthume. LA BIBLE ET LE NEON sera édité ensuite, adapté au cinéma, et sélectionné à Cannes en 1995.

Tableau de Juanjo Guarnido
Par quel bout prendre ce roman ? Par la première scène, qui présente astucieusement une grande partie des personnages qu’on retrouvera durant l’intrigue. Au début des années 60, à la Nouvelle Orléans, un gros moustachu attend sa mère sur le trottoir. Un type bizarre… énorme, coiffé d’une casquette de chasse, verte, qu’il ne quitte jamais. C’est suffisant pour éveiller les soupçons de l’agent de police Mancuso, qui tente une arrestation. S’en suit une foire d’empoigne dantesque, la mère arrivant au secours de son rejeton, le vieux Robichaux hurlant au complot communisse, un noir, Jones, camé, envoyé au poste parce qu’il se trouvait là, le repli de la mère et du fils dans le club de striptease les Folles Nuits, tenue par Lana Lee, qui trafique dans les photos porno, avec un certain George, sous couvert de fournir des images pieuses aux orphelins, où la seule danseuse Darlene (nom de scène : Harlett O’Hara) tente de monter un numéro coquin avec un perroquet…  

Ce gros benêt de 30 ans, qui vit avec sa mère, c’est Ignatius Reilly. Quel personnage ! Un Don Quichotte lancé dans une guerre « pour le bon goût, la décence et la géométrie ». Il est en révolte contre tout (mais vraiment tout), seule sa personne est digne d’intérêt, tout le reste n’est que vacuité, grossièreté, et doit être combattu. Il se plaint, hurle, vocifère à longueur de temps, contre la société, les communisses, les homosexuels, les drogués, les protestants, les flics, les patrons, les employés exploités, la sexualité… Ignatius Reilly est un Gargantua croisé de Falstaff et d’Oliver Hardy, qui se goinfre à longueur de journée, entre deux bains et une branlette, quand son anneau pylorique le lui permet. Car le baromètre émotionnel d’Ignatius, c’est sa valve pylorique, qui se referme à la moindre contrariété.

Statue d'Ignatius, Canal Street, N.O.

La cohabitation avec sa vieille môman, Irène, qui titille la boutanche, vire aux disputes incessantes. Elle convainc son fils de trouver un travail pour subvenir au besoin de la famille. Ignatius atterrit aux Pantalons Lévy, et entreprend de redéfinir les relations sociales dans l’entreprise : sabotages, grève, révolution, qui vont conduire à la ruine de l’usine ! Où l’on fait la connaissance de Miss Trixie, une vielle sourde comme un pot que personne n’ose mettre à la retraite, du proprio Gus Levy et de sa femme casse-couilles sans cesse attelée à sa planche de sport, et qui comme cadeau de Noël à ses filles leurs soumet une liste de griefs à reprocher à leur père !   

On suit en parallèle le pauvre agent Mancuso, sommé par son sadique sergent de faire des arrestations, l’obligeant à se déguiser pour surprendre les dealers, travelos, ou les agents troubles ! Mancuso qui a une tante, Santa, qui devient copine de bowling d’Irène Reilly. Ce qui met le fiston en rage, surtout quand la tata entreprend de brancher Robichaux avec Irène. Ignatius entretient une relation épistolaire avec Myrna Minkfoff, activiste féministe, adepte du sexe libre. Ignatius écrit beaucoup, sur de grands cahiers, son journal, ou ses programmes politiques, dont il change souvent. Il sera aussi vendeur de saucisses de rue, trimbalant sa charrette, déguisé en pirate, et consommant bien sûr gratos ce qu’il transporte.

au théâtre, Boston 2015
Ce roman fourmille de personnages loufoques, extrêmes, qui papillonnent volontairement ou non, autour d’Ignatius Reilly, que beaucoup souhaiterait voir mort ou enfermé chez les fous. Tout se tient, tout se rejoint, et si parfois on se dit que Toole perd un peu son fil, il n’en est rien.

Et bien sûr, ce roman est drôle. C’est ça le truc ! Entre les injures que se lancent les époux Lévy, la vieille Trixie qui s'endort n'importe où, Jones embauché aux Folles Nuits pour balayer, les yeux derrière des lunettes si noires qu'il ne voit pas la poussière, Darlène qui tente de se faire déssaper par son volatile...  Les caractères, les situations, les dialogues, c’est un véritable festival ininterrompu de vociférations, de tirades élevant la mauvaise foi au rang de beaux-arts. Ignatius est proprement insupportable, névrosé, mythomane, égocentrique, soupe au lait, suffisant, prétentieux. Personne ne trouve grâce à ses yeux. D’un truc insignifiant il fait des tragédies antiques ! Alors oui, le procédé s’enlise un peu, parfois, les effets de styles peuvent se faire redondants (c’est aussi cette accumulation qui fait l’énormité du livre), mais lorsque que les différentes intrigues repartent, on court vers un dénouement en apothéose, et un final où Toole renverse toute la vapeur, faisant émerger in extremis l’humanité latente de son personnage.

Autre force du roman, malgré toutes les horreurs débitées à longueur de pages sur les Noirs, les Homos, les femmes, les prises de position radicales, ce roman ne sombre jamais dans la méchanceté, l’intolérance, le racisme. Farouchement libertaire, ou totalement réac, difficile de se prononcer, mais terriblement drôle, affûté et jubilatoire, certainement. JK Toole choisit le burlesque pour peindre ce concentré d'humanité, sa comédie humaine, là où un Hubert Selby Jr choisissait le réalisme cru, ou LF Céline la noirceur nihiliste.  

    Format Poche, 448 pages
      

3 commentaires:

  1. un livre qui m'a profondément marqué, lu à sa sortie au début des années 80, le livre le plus frappé que j'ai lu sans doute, je l'ai fait lire à pas mal de monde autour de moi; certains n'ont pas accroché mais ceux qui sont allé au bout n' en sont pas ressortis indemnes..

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  2. Je l'avais lu aussi y'a une vingtaine d'années, j'avoue qu'à part le personnage d'Ignatius et ses déboires gastriques (son "anneau pylorique" qui se referme !) j'avais occulté l'intrigue. Et puis il m'est retombé entre les mains avant les vacances... C'est vrai que certains n'accrochent pas, ses élucubrations peuvent lasser. On a parlé d'une adaptation au cinéma, c'était y'a un an ou deux, depuis rien... Pas simple de retranscrire ce style sur un écran (surtout américain) c'est pas du genre politiquement correct...

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  3. Lu il y assez longtemps aussi. Pas plus marqué que ça par cette lecture.

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