vendredi 5 août 2016

SEULS LES ANGES ONT DES AILES de Howard Hawks (1939) par Luc B.

Je m’extasie souvent sur l’ingéniosité de metteurs en scène à construire des plans incroyables, quand on « sent » la caméra, lorsqu’elle ne sert pas uniquement à enregistrer des images, posée dans un coin, mais à les magnifier, que c'est moins se passe qui importe, que comment on le raconte. Et puis, il y a ce qu’on appelle les cinéastes « classiques », dont le talent est ailleurs. On pourrait citer Clint Eastwood, par exemple, ou plus proche de nous, David Fincher. Chez Fincher, pas de cadres alambiqués, de plans séquences, de travelling virtuoses. Mais un sens du récit. Howard Hawks est de cette trempe-là.

Hawks, Grant et Hayworth
Il y avait dans son SCARFACE (1932) des morceaux de bravoure incroyables, mais la plupart du temps, la mise en scène de Hawks est presque invisible, l’exemple le plus emblématique étant son RIO BRAVO, modèle absolu du genre. On pourrait citer aussi L’IMPOSSIBLE MONSIEUR BEBE ou LA CAPTIVE AUX YEUX CLAIRES. SEULS LES ANGES ONT DES AILES boxe dans la même catégorie. Howard Hawks en a imaginé l’histoire, que Jules Furhman a scénarisée. C’est un film d’aventure où l’on suit les exploits de pilotes de l’aéropostal, menés par Geoff Carter (Cary Grant, impeccable). Comme souvent chez Hawks, donc, une histoire de mecs, avec des personnages féminins incontournables !

Tourné en 1939, j’en vois déjà qui rigolent, devant les maquettes d’avions en plastoc, ou les effets de transparence en studio. D’ailleurs, ce film est à 90% tourné entre quatre murs, succession de huit-clos. On voit bien ce qui intéresse Hawks : les individus. Comme la bande du shérif dans RIO BRAVO, comme Bogart dans LE PORT DE L’ANGOISSE, il s’agit d’hommes et de femmes isolés, qui doivent faire face au danger, et accomplir leur devoir. Non, rentrez les violons, pas la peine, Hawks ne donne pas dans le sentimentalisme ou la mièvrerie. Il filme cette histoire d’aviateur sans effet de manche (sic), carré, champs /contre-champs et cadres très académiques, et allez savoir pourquoi, au bout de 10 minutes c’est passionnant, et on reste scotché jusqu’au bout.  

Moi, ça m’épate. D’où ça vient ? D’abord parce que le scénario, et les dialogues, sont nickel. Le rythme est là, la narration. Parce qu’on y croit, parce que ces personnages sont de suite attachants. A ceux qui lui reprochaient d’avoir été un peu trop loin, Howard Hawks répondait qu’il connaissait personnellement ses personnages, que tout ce qu’il y a dans son film est véridique. Les situations sont crédibles, les gestes accomplis sont crédibles, ce type de mecs existent.

Et puis il y a les enjeux. Pour Geoff Carter et ses hommes, il s’agit de bosser pour ne pas perdre sa licence, délivrer le courrier, les colis, survoler la Cordillère des Andes, et revenir vivant. De nombreuses tentatives échouent, pour cause de mauvais temps. Y’a un gars dans une vigie perchée à 3000 mètres dans une bicoque, qui regarde le ciel, et annonce par radio : stop, demi-tour, l’orage arrive… Une histoire de confiance. Y’a de la casse, des morts, mais on ne s’appesantit pas, pas le temps, on prépare un autre zinc, et on redécolle.

Et il y a les enjeux sentimentaux. Ce qui caractérise le cinéma d’Howard Hawks, c’est le mélange des genres. Dans LE GRAND SOMMEIL on est autant dans le polar que dans le suspens sentimental. Ces deux-là vont-ils s’aimer ? Comme le duo John Wayne / Angie Dickinson dans RIO BRAVO. Bonnie Lee, à qui un pilote avait donné rencard, débarque au camp de base. Mais il se crashe à l’arrivée. Bonnie Lee, intriguée par ces hommes, leur façade bourrue, leur déni d’émotion, décide de rester, et tape dans l’œil de Geoff Carter. Dont l’ex, débarque à son tour avec son mari Bat MacPherson. On pense aussi à GILDA, notamment parce que l’ex en question est jouée par Rita Hayworth. Les parties de ping pong verbales entre Bonnie et Geoff sont superbes, pétillantes de drôlerie.

Dans une des dernières scènes, Bonnie demande à Geoff s’il veut bien d’elle, si elle doit rester ou partir. Ce grand échalas propose de tirer à pile ou face. C’est galant. Avec une pièce truquée. Scène merveilleuse, quand ulcérée, Bonnie ramasse la pièce, comprend le truc, et comprend donc que la réponse est : oui. Un homme, chez Hawks, ça ne cause pas d’amour, ce sont les femmes qui mènent la danse.


C’est d’ailleurs presque un gag qui va précipiter l’intrigue, lorsque Bonnie déclare son amour à Geoff en lui tirant dessus au revolver accidentellement. Blessé, Geoff doit céder sa place pour le prochain vol. Qui pour y aller ? Kid Dabb, le vieux complice dont la vue baisse ? (merveilleux Thomas Mitchell, souvent vu chez Franck Capra, un rôle de "faire valoir" à la Walter Brennan dans RIO BRAVO).Très belle scène du test oculaire, qui rappelle le personnage de Donald Pleasence dans LA GRANDE EVASION. Kid ne pourra plus voler, devra être consigné au sol, comme simple mécano. Mais, Kid Dabb volera finalement en duo, avec Bat MacPherson, qui lui a de bons yeux. Formidable scène, mission périlleuse, qui tient tout le monde en haleine, avec trois fois rien. On remarquera que Kid fait sauter une pièce dans sa main... gimmick qui renvoie à SCARFACE.

Le boulot de Hawks, c’est d’orchestrer l’ensemble, ne garder que ce qui importe, jongler entre les histoires de mecs, de filles, de gars et de filles. Ca se boit comme du petit lait, tout semble évident, vrai, et tant pis si parfois les cheveux impeccablement gominés de Cary Grant peuvent faire sourire dans de telles conditions ! Les acteurs sont impeccables, Jean Arthur dans le rôle de Bonnie a l’insolence, la verve des héroïnes hawksiennes.

Histoires de courage, d’amitié, de sacrifice, d’amour, SEULS LES ANGES ONT DES AILES est une petite merveille.


N&B  -  2h00  -  format1:1.37

Un extrait, dans lequel on voit le mélange des genres cher à Hawks, chanson, comédie, voile nostalgique, groupe d'hommes et intrusion de la femme... 



000

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire