vendredi 11 novembre 2016

COLLATERAL de Michael Mann (2004) par Luc B.



Après deux films à succès, l'excellent HEAT (1995) et REVELATIONS (1999), Michael Mann se plante avec ALI (2001), le biopic sur Mohamet Ali avec Will Smith. Ce qui l’oblige à accepter une commande, un scénario qui traine dans les tiroirs, développé par beaucoup mais qui peine à être réalisé. La première décision de Michael Mann est de déplacer l’action de New York à sa ville fétiche : Los Angeles.

On s’étonne qu’un tel scénario n’ait pas vu le jour plus tôt, car c’est l’atout du film. Une idée toute simple, et qui respecte la fameuse règle théâtrale des trois unités. Unités de temps : une nuit. Unité de lieu : Los Angeles. Unité d’action : un tueur un gage doit livrer 5 contrats.

Max est chauffeur de taxi. Au début de la nuit, il prend un client, Vincent, qui lui commande cinq courses, cinq clients à joindre au plus vite pour valider un contrat commercial. Une aubaine ! Max va déchanter au premier arrêt : Vincent est en fait un tueur professionnel qui va se servir du taxi pour exécuter ses basses oeuvres.

C’est vraiment du scènar calibré série B, sans digressions superflues. Mais Michael Mann n’étant pas du genre à réaliser un film en 8mm dans une cabine téléphonique, il va mettre toute sa science de la mise en scène dans le projet, et filmer sa ville. Grâce à une des premières caméras numériques, qui va lui permettre de filmer en sous exposition.

Pour Mann, Los Angeles est un théâtre. Le film se passe de nuit, mais il ne joue pas sur l’obscurité (contrairement aux classiques du Film Noir). Los Angeles est illuminé de réverbères, immeubles, affiches, signalétiques routières. On parcourt les quartiers d'affaires, la banlieue, parkings, métro, ruelles ou autoroutes. Le ciel est nimbé d'ocre, les lumières de la ville (la pollution ?)... Le film possède un éclairage en demi-teinte, peu de contraste, en aplat, froid, métallique, très stylisé, que seul perce le taxi rouge et jaune. On a l’impression d’être entre chien et loup constamment, une éclipse de soleil de deux heures. On pense au POLICE FEDERAL LOS ANGELES de Friedkin, en moins saturé de couleurs.

On pense surtout au cinéma de Jean Pierre Melville (notamment UN FLIC, avec Delon) avec ces architectures, cette géométrie, ces lignes de fuites. Il y a une fascination pour la forme chez ce cinéaste, proche de celle d’un Ridley Scott (en peinture, Scott serait plus figuratif, quand Mann touche à l'abstraction, en disciple de Kubrick). Il y a un deuxième élément qui rappelle Melville, c’est le personnage du tueur, Vincent. Qui nous fait penser à Alain Delon, dans LE SAMOURAÏ. Michael Mann use du même procédé, il dessine un personnage sans nuance, stylisé, graphique. Plus qu’un personnage au sens psychologique, Vincent est une image, une représentation. Il a un costume gris acier, les cheveux gris acier. C’est une apparition maléfique. Entre autres points communs, Vincent doit exécuter un contrat dans une boite de jazz, comme Jef Costello dans le SAMOURAÏ.

Le film déroule cinq grandes séquences qui correspondent aux cinq contrats. On retiendra, donc, celui du propriétaire d’un club de jazz, trompettiste, avec qui un Vincent affable discute. Un dialogue presque tarantinesque… On parle de Miles Davis, on se titille verbalement, et paf (ou plutôt pan) t’es mort !

Une scène se situe dans un hôpital. Max y visite sa mère, malade. Vincent l’accompagne. Il ne s’agit pas ici d’insuffler du sentiment (le tueur a donc un coeur...) de l’humaniser. C’est plus basique et terre à terre. Vincent a besoin de Max pour le conduire, il le tient en laisse, et rien dans les habitudes de Max ne doit être modifié, pour ne pas se faire remarquer. C’est pendant cette scène que Max arrive à s’enfuir (pas longtemps…) avec la valise de Vincent, contenant les coordonnées de ses cibles. Et c’est là que la mécanique va se dérégler. Très bonne scène de suspens où Vincent oblige Max à récupérer un double des contrats auprès du commanditaire. Le mec (joué par Javier Bardem, donc qui fait peur !) est dans un club, surveillé par la police. Et les flics vont se focaliser sur ce type et son taxi, garé dans l'ombre, alors que le tueur à appréhender est Vincent. 

Quiproquo d'où découle la séquence dans une boite de nuit. Une scène de fusillade dans la foule, comme  on en a vues quelques-unes au cinéma, je songe à SCARFACE (de Palma) ou L’ANNEE DU DRAGON (Cimino). C’est un classique du genre, elle est ici efficace, bien menée, chaos, tuerie, mais un p’tit truc me gêne : pourquoi donc la (future) victime ne se carapate-t-elle pas vite fait, alors que ça flingue à tout va, mais attend sur son canapé la balle qui viendra lui trouer le front ?

Le dernier contrat est une femme à abattre, une procureur. Que Max reconnait pour l’avoir chargée dans son taxi un peu plus tôt. Il décide de la prévenir, et comme on est dans un film américain, c’est le taximan lui-même qui va s’y coller. C’est le côté toujours agaçant de ces productions, le brave type qui est hyper courageux, sait manier les flingues, pilote comme Ayrton Senna… Mais il faut avouer que c’est brillamment fait, même si ce genre d’épilogue est plus convenu. Cette image de Max, dehors, qui regarde l’immeuble où se trouvent les bureaux de la procureur, ses fenêtres illuminées, et le tueur un étage juste au-dessous, qui cherche sa proie, et la batterie du portable de Max qui flanche… On est dans FENÊTRE SUR COUR, quand Grace Kelly fouille l’appartement du voisin, qui va arriver, et que James Stewart, en face, ne peut rien faire…

Il y a encore de belles images dans l’ultime scène, dans le métro, nerveuse à souhait, comme des cases de bd, toujours traitée en aplat, le décor qui file à l’arrière-plan, comme une ombre.

Le chauffeur de taxi est joué par Jamie Foxx, (toujours très bien, il jouait aussi dans ALI, et DEUX FLICS A MIAMI du même réalisateur) mais celui qui retient l’attention, c’est Tom Cruise dans le rôle du tueur, séduisant et calculateur, on ne l’attendait pas dans ce type de composition. Il y a aussi le toujours épatant Mark Ruffalo (le flic) et une pléiade de seconds rôles qu’on aime à retrouver. Le film n’a rien de psychologique, on est dans l'action, le mouvement, on a affaire à des figures qui se croisent dans un décor extérieur nocturne, aseptisé, aux larges avenues désertes. On voit bien ce qui a pu intéresser Michael Mann dans ce projet, il en tire un film de pure mise en scène, esthète mais pas tape à l’œil, il n’oublie pas de faire carburer son excellent scénario, avec un sens de la narration assez bluffant.

Un très bon polar.

  
désolé, pas de sous-titre disponibles...



000

4 commentaires:

  1. POLICE FEDERAL LOS ANGELES de Friedkin, Melville, Un Flic, Le Samouraï, Scarface, L'année du Dragon, Fenêtre sur cour...y'a pire comme influences...Une petite merveille ce film, en effet. Rien d'autre à dire..

    RépondreSupprimer
  2. Vu aussi. Malgré la présence de Tom Cruise.

    RépondreSupprimer
  3. Superbe film of course ...
    Une tragédie antique comme tu dis avec unité de temps, de lieu et d'action, et ces personnages qui vont au bout de ce qu'ils se sont fixés.
    Mann derrière la caméra, quand t'as vu Heat, tu es obligé de t'y intéresser. Et Cruise, ne jamais oublier des performances d'acteur époustouflantes (Né un 4 juillet, et peut-être et surtout Magnolia). Bon, jamais oublier non plus que c'est un scientologue ...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tout scientologue qu'il est, un type qui a été au générique d'un Kubrick ne peut pas tout à fait être dénué de talent ! J'aimerais bien revoir Magnolia, pas vu depuis... sa sortie ? (Cruise est génial dans "Tonnerre sous les tropiques" de Ben Stiller, comédie 36è degré sur l'industrie du cinéma, il y joue un producteur hystérique, chauve et bedonnant. Étonnante composition !

      Supprimer