vendredi 13 janvier 2017

DARK VADOR vs JIM JARMUSCH (2016) par Luke B.



J’ai fait un grand écart, sans échauffement, j’aurais pas dû. A ma droite, le blockbuster de cette fin d’année, ROGUE ONE, ou l’épisode 3,5 de STAR WARS, puisque précédant chronologiquement de justesse l’épisode IV, celui réalisé en 1977 par George Lucas. A ma gauche le cinéma d’auteur, indépendant (mais produit par Amazon... comme l'excellent "Manchester by the Sea" dont on va parler la semaine prochaine), PATERSON et son grand représentant Jim Jarmusch. Le casque noir contre la crinière blanche.

On avait compris que lorsque Disney avait casqué quelques milliards pour racheter la franchise STAR WARS à Lucas, ce serait pour en tirer encore un peu plus de jus. Reprise de la saga, dérivés télé, jeux, spin-of et préquels en tous genres. ROGUE ONE est le premier d’une longue série de films « inspirés de… » chargés d’entretenir la flamme, et conquérir de nouveaux marchés intergalactiques. Vous vous souvenez de la première scène de LA GUERRE DES ETOILES (1977) où la princesse Leia planque une carte magnétique dans R2D2 ? Et bien ROGUE ONE va nous raconter ce que contient réellement cette carte, et comment elle est arrivée là.

Le prétexte est assez mince, et après coup on se dit qu’il manque quelques rebondissements à ce scénario assez linéaire. Gareth Edwards (réalisateur d’un GODZILLA relooké numérique) nous embrouille un peu au début, démarrant trois ou quatre histoires, sur des planètes différentes, avec des gens qu’on ne connait pas, on ne sait pas trop comment relier tout ça. Y’a des rebelles, des résistants, des groupuscules, des barbouzes, on ne sait pas vraiment à qui se fier (Rogue signifie escroc, bandit). Mais le récit se met en place, on distingue où l’intrigue veut nous mener, et nous emmène. Les ficelles psychologiques sont énormes, les conflits personnels et moraux déjà vus. Mais y’a de l’action, vintage, avec les X-Wings, croiseurs, combinaisons, casques, les dromadaires en mécano... Forcément. Faut être raccord avec ce qui est censé être la suite, mais réalisée 40 ans plus tôt.

Dans PATERSON, on n’a trop ce souci de savoir qui est qui, puisqu’il n’y a que deux personnages, Paterson et sa femme Laura, jouée par la craquante Golshifteh Farahani. Jim Jarmusch nous décrit leur quotidien jour par jour (sic), lui se réveillant toujours avant l'alarme du réveil, je me lève, et je te bouscule, tu remontes le drap, comme d’habitude, et part conduire son bus, pendant qu’elle peint des macarons noir et blanc sur son rideau de douche. Elle est artiste, il est chauffeur de bus et poète. Et ils sont gentils, car dans son film, Jarmusch a souhaité éviter tout conflit, drame, cris. Ca repose.

Dans ROGUE ONE, des méchants, y’en a ! L’Empire. Et qui dit Empire, dit empereur, et son éminence noire, le seigneur Vador. Avec la musique ad-hoc, les bronches tuberculeuses, la grosse voix, on en frissonne de bonheur. Il nous manquait dans STAR WARS VII de JJ Abrams, on n’avait droit qu’au petit fils : Kylo Ren. Joué par Adam Driver. Et qui joue le chauffeur de bus chez Jarmusch ? Ce même grand échalas à la voix de baryton caverneux :  Adam Driver. Et quand on s’appelle driver, on ne s’en étonnera pas…

Il va moins vite que le faucon millénium, Paterson, avec son bus. J’aime bien comment Jim Jarmusch le filme au volant, écouter les conversations des passagers, les épier dans le rétro (il voit des jumeaux partout, sa femme lui avait demandé au début tu aimerais avoir des jumeaux ? voyez le symbole ?). C’est ainsi le lundi, le mardi, le mercredi. C’est là que madame B. m’a soufflé à l’oreille : "je ne vais pas tenir jusqu’à dimanche !". Je la sentais fébrile, maman, comme ça, un soir d'hiver, trois personnes dans la salle...  A force de filmer les habitudes et gestes quotidiens (les vêtements sur la chaise, la boite aux lettres de travers, la p’tite bière du soir) le film devient redondant. Certes, Jarmusch diversifie ses cadres, axes, tout cela est très joliment filmé, mais on tourne en rond. Si c’était pour nous dire ça, 30 minutes auraient suffi.

Gareth Edwards aussi peine à se renouveler. La dernière heure de son film, la grande attaque, est nettement trop longue, souci de tempo, sans digression, balisée. Techniquement irréprochable, c’est la moindre des choses, c’est la norme, mais où est le souffle, l'invention visuelle ? Les rares scènes inspirées sont des reprises du premier film (le couple suspendu au filin au-dessus du vide). Alors oui ça pétarade, l’Etoile Noire fait des dégâts, mais la mise en scène est passe partout, je défie quiconque d’y trouver de la personnalité, et d’ailleurs, ce n’est pas le but.

Je me souviens du GREEN HORNET confié à Michel Gondry, qui s’était amusé comme un fou, avait injecté son univers, et avait fait un four au box-office ! 

Si Gareth Edwards semble parfois s’éparpiller, Jarmusch reste bien centré sur ses deux héros. Il y a quelques rôles secondaires, un barman, un couple de clients en pleine déception amoureuse, c’est tout. Je m’attendais à un film plus généreux, de personnages, de portraits. C’est assez chiche. Comme son collègue qui lui raconte ses malheurs, tous les matins. Cela aurait pu être plus attachant.

Le personnage central, c’est la ville de Paterson, New Jersey. Sauf que, eh Jim, nous en France, on la connait pas. Alors tu peux faire toutes les allusions possibles, laisser ta caméra parcourir telle place, filmer telle statue, nous, on reste un peu extérieur à tout ça. Et puis Paterson, il n’est pas très fun. Comme ses poèmes (ceux de Ron Padgett, en réalité) un peu abscons. Quand Jim Jarmusch dose un peu d’humour, on ne craint pas la tendinite aux zygomatiques. J’avais vraiment aimé BROKEN FLOWERS en 2005, avec Bill Murray. Là, il y avait de l’humanité, comme chez Robert Altman.

Le cinéma, c’est magique, mais c’est aussi monstrueux. L’actrice Carrie Fisher est décédée, mais elle a eu le temps de tourner dans l’épisode VIII, à venir. Elle est aussi à la toute fin de ROGUE ONE, puisque la dernière scène avec Leia, est précisément la première de l’épisode IV de Georges Lucas. En réalité une doublure numérique, une actrice sur laquelle on a collé le visage de Carrie Fischer repris des films précédents, et animé numériquement pour coller aux nouveaux dialogues. Impression très étrange, comme avec Tarkin, qui était joué en 1977 par feu Peter Cushing, et qu’on revoit ici. C’est lui sans être vraiment lui. Le regard parfois ne semble pas le même. Avec Vador, les droïdes (on revoit C6PO et R2D2, mais y'a un nouveau, moins fanfaron), les aliens, c’est facile, on ressort les masques et maquettes du magasin d'accéssoires, mais avec les vrais acteurs… 

ROGUE ONE ne rate pas sa cible, il distraie, joue sur le souvenir, la nostalgie, ressasse le passé mais n’invente pas l’avenir, une intrigue sans lendemain, et pour cause, la suite a déjà été tourné y’a 40 ans ! Mais le risque est minimum, on calque au cahier des charges. PATERSON déçoit à force d’être ennuyeux, répétitif, un film curieusement dénué de sentiment, d’aspérité, de charme. Laura et ses cupcake N&B ne parviennent pas à nous intéresser vraiment. On est comme leur bouledogue, on attend dans son siège que la porte s’ouvre et qu’on aille enfin se balader.

Cela aurait été plus rigolo que Gareth Edwards nous trousse un chauffeur de bus à la SPEED (Jan de Bont, 1994), et que Jarmusch soit engagé pour faire un STAR WARS intimiste !

ROGUE ONE - couleurs - 2H15 - scope
PATERSON - couleurs - 2h00 - 1:1.85  
 



000

4 commentaires:

  1. Le film de Michel Gondry, est-ce "Green Lantern" ou "Green Hornet" ?
    Quoi qu'il en soit, ce sont tous deux des nanards.

    RépondreSupprimer
  2. Oui, c'est "Green Hornet" je me suis trompé ! Je corrige.
    Avec Seth Rogen. Tourné à la manière d'un film potache, j'avais trouvé ça original et drôle, par rapport aux très sérieux Batman, Spider et consorts...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Potache, oui, caricatural aussi. Cela démarre plutôt assez bien mais, à mon sens, on finit par frôler l'overdose. Steve Martin n'est guère loin.
      Ce qui est gênant ce sont ces remakes qui essayent de tout mélanger dans le seul but de faire un film lucratif, pour plaire à tout le monde. Et surtout aux plus jeunes.
      Cela m'évoque "Wild wild West" qui aurait pu être bien mieux avec un tant soit peu de retenu.

      Supprimer
  3. le prochain Star Wars par Jarmush? ça laisse pensif...Aussi improbable que de voir Emmerich qui pondrait un film d'auteur...

    RépondreSupprimer