lundi 23 janvier 2017

LE CUIRASSE POTEMKINE de Sergueï Eisenstein (1925) - par Pat Slade






L’Histoire en Marche






Quand j’étais en 3e, je vis un film au ciné-club de mon lycée qui me marqua pour le restant de mes jours. Un vieux truc russe en noir et blanc de 1925 sous-titré. Un film qui fait partie des plus grandes réussites du patrimoine cinématographique mondial. Son histoire, sa musique, son réalisateur et son coté historique en font un fleuron du cinéma qui ira rejoindre les chefs-d’œuvre des Murnau, des Keaton, des Griffith, des Lang, des Linder et autres Sjöström.

Pour la petite histoire, nous sommes en juin 1905 et la Russie du Tsar Nicolas II est en révolte depuis le mois de janvier. Sa flotte à pris une sévère tannée contre le Japon au large des îles Tsushima. Sur les 45 navires russes, seuls deux destroyers et un croiseur arriveront à rejoindre Vladivostok. Deux jours de batailles : 5.000 morts et 6.000 prisonniers cotés russe contre 700 tués pour les Japonais.

Le pays gronde les grèves et les rébellions se multiplient depuis le désastre du 22 janvier 1905 à Saint-Pétersbourg où l’armée va tirer sur 100.000 grévistes qui manifestaient pacifiquement et en silence. Resté tristement célèbre sous le nom «Dimanche Rouge» Ce sera la goutte d’eau qui fera déborder le verre de vodka et qui déclenchera la révolution de 1905. (Voir sur ce sujet la symphonie n°10 de Chostakovitch commentée par Claude. (Clic))

Mais la révolte la plus célèbre restera celle de l'équipage du cuirassé Prince Potemkine de Tauride, un nom emprunté d’un favori de Catherine II, impératrice de Russie du XVIIIe siècle.



Le Cuirassé Potemkine le Bounty Rouge 






Une histoire de viande avariée, d’officiers sadiques, d’escalier, de landau, de mort et de martyrs. Juin 1905 va connaître la plus célèbre page historique de la révolution. Pourtant entre la réalité et le film de Sergueï Eisenstein de 1925, le réalisateur va prendre quelques libertés.

Sergueï Eisenstein, né à Riga en 1898 fera ses premières armes dans le cinéma au sein de l’Armée Rouge comme acteur et comme réalisateur. Il s’intéressera dans un premier temps au théâtre traditionnel japonais Kabuki. Il rentrera au bureau moscovite de production en 1924 où il réalisera son premier film «La Grève». L’année suivante sera celle du cuirassé Potemkine ; suivra «Octobre» en 1927 pour la commémoration du dixième anniversaire de la révolution. Beaucoup de ses films qui vont suivre seront inachevés, ou bien les autorités Soviétiques donneront l’ordre de détruire le négatif comme pour «Le pré de Béjine». Les deux grand films qui vont aussi maquer sa carrière seront «Alexandre Nevski» qui, après une première interdiction, sera utilisé comme film de propagande contre l’occupation allemande. Après avoir été fait membre de l’ordre de Lénine en 1939, il travaillera au scénario de «Ivan le Terrible». Il obtiendra le prix Staline avec la première partie, la sortie en salle de la seconde partie sera interdite. En 1947, il est nommé directeur de la section cinéma de l’Académie des sciences. Un an plus tard, il meurt d’un arrêt cardiaque à Moscou à l’âge de cinquante ans.     

Le capitaine Guiliaroski
«Le Cuirassé Potemkine» est un film de commande pour l’anniversaire des événements de 1905. Un film de propagande ? Absolument ! Muet et en noir et blanc ? Évidement ! Chiant, ringard ? Surement pas !! Ce film à 90 ans au compteur et il serait idiot de dire qu’il n’a pas vieilli (Quand vous aurez 90 balais, vous verrez vous aussi que vous avez vieilli !). Certains passages par leurs contenus sont tout bonnement caricaturaux, les méchants officiers avec leurs visages grimaçants de haine, le méchant pope hirsute avec son crucifix qui en appelle aux mutins de rentrer dans le rang, les gentils marins avec des visages telles les statues exubérantes qui ornent la place rouge, l’image des héros de la révolution plein de fougue, de hardiesse et d’allant.

Vakoulintchouk
Sur les 170 pages que constitueront le scénario, uniquement 7 racontent la mutinerie des matelots en s’appuyant sur des témoins oculaires. 6 tableaux bien distincts peuvent résumer ce film (Certains disent 5, mais pas moi !), le premier : La vie à bord avec ses corvées et ses exercices, la seconde : la protestation des marins quand on leur sert de la nourriture avariée, la troisième : La révolte à bord et la mort de Vakoulintchouk, le leader des mutins, la quatrième : le corps du marin emmené sur le port d’Odessa et la veillée mortuaire, la cinquième : La révolte du peuple et son massacre par l’armée tsariste sur l’escalier d’Odessa, et enfin le sixième : Le ralliement à la mutinerie de l’escadron de marine censé arrêter le cuirassé.

Beaucoup de scènes du film sont restées célèbres. La première sera les prémices de la mutinerie avec la viande avariée alors que le médecin du bord qui porte le nom de Smirnov (Un nom prédestiné pour un Russe !) décide que celle-ci est propre à la consommation. Quand les officiers décident de fusiller les mutins recouverts d’une bâche (« C’est mon frère qu’on assassine, Potemkine »), la révolte des marins (Menée par un militant marxiste Afanassi Matouchenko, le seul personnage réel qui n’apparait pas dans le film) et la mort de Vakoulintchouk tué par le capitaine Guiliarovski. Le corps du marin sur le port avec les pleureuses et la révoltes du peuple, les gros plans sur les poings qui se
ferment, les orateurs qui haranguent la foule et l’attaque antisémite envers une jeune agitatrice juive par un gros bourgeois «blanc» : «Sus aux juifs !». Ce dernier finira sous les coups des révoltés. La scène sur l’escalier d’Odessa avec ses gros plans expressionnistes et ses plans larges sur l’armée blanche qui tirent sur les civils en fuite. La fameuse scène du landau qui sera reprise dans «Les Incorruptibles», «Brazil», «Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood» et même dans «La cité de la peur». Mais dans la réalité, cet épisode n’a jamais eu lieu, Eisenstein l’ajoutera pour accentuer le coté dramatique du film à des fins politiques pour critiquer le pouvoir tsariste alors en place.

Sergueï Eisenstein
Le montage du film fait par Eisenstein en sera la clé de voûte, ce que les critiques appelleront «Le Cinéma Poing», l’enchainement d’images créé par une rythmique et des choix stricts dans la luminosité. La musique connaîtra plusieurs versions, Edmund Meisel, le créateur donne une grande intensité dramatique à l’image, elle sera utilisée après sa mort et maintes péripéties, en 1972, sort une nouvelle composition par le pianiste Arthur Kleiner qui fournit une version orchestrale de la partition de Meisel. Le film sera restauré en 1975 et la musique sera constituée d’une compilation d’œuvres de Dimitri Chostakovitch (Extrait de la symphonie 10, 11, 12 et la toccata de la 5). Pour la nouvelle restauration en 2005, la musique originale d’Edmund Meisel sera restaurée elle aussi. Mais ma version préférée reste celle de Nikolaï Krioukov dans les années 50, plus Russe, plus brillante, plus dramatique, plus… patriotique.

Dans ce film sans héros prédominent uniquement deux groupes : les insurgés et les tsaristes. «Le cuirassé Potemkine» reste aujourd’hui le film le plus célèbre de son auteur mais pas son meilleur, «Octobre» et «Ivan le Terrible» resteront à mon sens le duo de tête.

Le 8 janvier 2001, pour la première fois un film sera inscrit au patrimoine de l’UNESCO, or ce ne sera pas "Potemkine", mais «Metropolis» de Fritz Lang, un film montrant une société imaginaire au futur incertain et ses deux classes, l’exploitant et l’exploité, un film de fiction. Alors que le cuirassé qui aura été une période vécue restera dans les placards. A-t-on voulu récompenser la jeune république de Weimar ou punir la dictature bolchevique ? L’histoire nous le dira peut-être un jour. 

(Intégralité du film)




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