mercredi 10 mai 2017

Y & T "Earthshaker" (1981), by Bruno


     Lorsque l'on évoque la scène californienne Rock, plus particulièrement celle des métallovores de Los Angeles, celle qui a propulsé le Heavy-rock dans les charts et les médias, on pense à une multitude de groupes. Effectivement, au tournant des années 70, Los Angeles était devenue la capitale américaine du Hard-Rock. Ses clubs, par ailleurs trop exigus pour contenir l'imposant volume sonore, étaient assaillis par des hordes de chevelus au cuir tanné. La concurrence était rude forçant les nombreux combos à bosser dur, à faire de leur mieux au risque de disparaître précocement. Van Halen était rapidement devenu un phare ouvrant la voie à une vie glamour, faite de succès, d'adulation et d'argent. Un exemple donnant l'espoir que le rêve américain pouvait être accessible, que ce n'était pas qu'un leurre.

     Si l'on fait le récapitulatif des groupes de Heavy-rock américains qui ont eu droit à leur moment de gloire dans la première moitié des années 80, on constatera qu'une majorité vient de la cité des anges et de ses environs. Malheureusement pour certains, la gloire fut parfois éphémère, en dépit d'un long et pénible périple. D'autres aussi, que l'on aurait pu croire intouchables, à l'abri de périodes de disette, rayonnant même hors du continent américain, tombèrent dans l'oubli. Peu ou prou.
G à D : J. Alves et D. Meniketti en 1975

     C'est le cas de Y & T. Ou Yesterday And Today, dans un premier temps. Un collectif pourtant probablement parmi les plus anciens de la métropole de la côte ouest.
La genèse de ce quatuor remonte à 1972, à Oakland, à l'époque où le batteur Leonard Haze est rejoint dans son groupe de reprises par Dave Meniketti, chanteur, guitariste et soliste. L'année suivante, c'est l'arrivée de Philip Kennemore qui prend le poste de bassiste. Le groupe se stabilise en 1974 avec Joey Alves à la guitare rythmique. C'est à ce moment là que le collectif commence à travailler sur leurs propres compositions, les incorporant progressivement à leur répertoire. C'est aussi à ce moment là qu'il se baptise dans la précipitation, Yersterday And Today, à la résonance bien moins marquée par le Hard-rock que le progressif. 
L'histoire est connue : tous les quatre sont dans une pièce en train d'écouter tranquillement de la musique quand le téléphone sonne. Le patron de la boîte dans laquelle ils doivent jouer le lendemain leur demande expressément quel nom il doit mettre sur les affiches. La petite troupe, qui a changé d'optique en choisissant désormais de jouer principalement ses compositions, est prise de cours. Naïvement, ils n'ont pas encore déterminé leur patronyme et à l'autre bout du fil, le patron les presse. C'est urgent. Sur la platine tourne le dixième disque Nord-américain des Beatles « Yesterday and Today » (le fameux à la pochette provocatrice et censurée) ; dans la panique, quelqu'un lance le titre de l'album. Et il restera. D'autant plus que les Beatles sont une grosse influence de ces californiens qui n'auront de cesse d'adapter l'art des chœurs et de la mélodie Pop des quatre de Liverpool à leur Hard-rock chromé. D'autant plus que tous sont aptes à chanter ; Kennemore prenant même le micro sur les morceaux les plus Rock'n'Roll.
 Avant de transformer leur musique en la plongeant dans des forges (h)ardentes pour l'habiller d'acier, outre les Beatles, la Soul, le Funk multicolore de Sly Stone & The Family Stone et le latin-rock de Santana étaient des sources auxquelles ils allaient puiser leur inspiration. (Sur de vieilles séquences filmées, on retrouve l'influence du Santana ère Neal Schon ; certains titres sonnent comme du Journey d'avant Steve Perry, d'autres comme le Grand Funk Railroad de 72-76).
1974 - de G à D : Meniketti, Alves, Haze et Kennemore

     Leonard Haze et Dave Meniketti semblent avoir trouvé les frères d'armes idéaux. Dorénavant, leur réputation va croissant jusqu'à ce qu'un label vienne rapidement les démarcher en 1975. Étonnamment, c'est un label anglais, alors un peu sur le déclin, London Records - bien plus connu pour ses poulains des années 60 que pour ceux de la décennie suivante - qui les signe. Le premier essai, bien que pêchant par une production sans relief, fait déjà preuve de beaux atours. Une bonne partie du matériel date de 1974, il a largement eu le temps d'être peaufiné et éprouvé en salle. En dépit d'une approche parfois naïve, le collectif délivre un Hard-rock droit dans ses bottes qui semble faire la jonction entre un Rock ensoleillé et un Hard-rock rude et enjoué bien que rigide. Dans la mouvance des Moxy et Starz, voire Dirty Tricks.

     Malgré ce premier essai assez réussi, il faut attendre deux ans pour goûter au second. Un laps de temps trop lent pour lancer un groupe. Ce n'est donc qu'en 1978 qu'arrive « Struck Down ». La production n'est guère meilleure. Loin s'en faut. Pourtant, on peut noter l'effort d'adjoindre les services de musiciens extérieurs (en l'occurrence un pianiste et un organiste). On retrouve aussi une jeune invitée en la personne de Cherrie Currie (des Runaways) venue apporter son aide pour les chœurs. Si l'album dans son ensemble semble confirmer tous les espoirs du premier, il paraît néanmoins un chouia moins intéressant. 
La promotion, elle, est aussi toujours du même niveau : quasiment inexistante. Et la distribution est pitoyable. A tel point, que même lors de l'explosion médiatique du quatuor, ces disques resteront difficiles à dénicher. Pourtant, ces deux galettes témoignent du fort potentiel du quatuor californien. Il ne leur manquerait que le coup de pouce d'un producteur avisé pour basculer dans la catégorie supérieure. Celle des seconds couteaux qui, sans arriver à la hauteur des chefs de fil, sont supportés par des masses fidèles. 
Résultat : malgré deux beaux efforts, le groupe végète et est prêt à tomber dans le découragement. Malgré la forte déception, il persévère.

     En 1979, ils décident de simplifier leur patronyme en Y & T. Conscient que l'expérience avec London Records a foiré, ils préfèrent revenir à la case de départ, tout mettre à plat, et repartir à zéro, en commençant par reprendre le circuit des clubs, dans des petites salles. Au lieu d'attendre l'opportunité de premières parties où les conditions demeurent trop restrictives. 


     Entre-temps, le monde du Rock a changé avec l'arrivée d'autres barbares, parfois issus des antipodes, qui sont venus faire trembler les scènes d'Amérique ou saturer les émetteurs de radio. Il y a eu le tsunami Van-Halen qui a pris tout le monde au dépourvu avec son premier opus, laissant derrière lui une multitude de traumatisés qui ne s'en remettront jamais. Et puis il y a eu aussi les kangourous d'AC/DC qui, après le séminal « Powerage », vient de déposer « Highway to Hell ». Véritable arme de destruction massive … Derrière, surtout depuis 1979, les cuirs et clous de Judas Priest et les teutons venimeux de Scorpions ne ménagent pas leur peine pour conquérir le nouveau continent.

Avec l'ombre imposante de ces deux dernières divinités du panthéon du Métal-lourd, la nouvelle tendance est de mettre du plomb et de l'acier dans son vin.

      Ce que fait Y & T en durcissant et en métallisant sa tonalité. Sans rien perdre de sa personnalité, ses riffs deviennent plus ciselés, tranchants, la rythmique cogne et s'alourdit. Requinqué, regonflé à bloc, Y & T devient un incontournable de la scène californienne, et plus particulièrement de Los Angeles. Sa notoriété est désormais assez forte pour faire des concerts en tête d'affiche et prendre sans crainte n'importe quel groupe du coin. Serait-ce un mythe ? On considère que tous les groupes qui ont participé à la scène de Los Angeles du début des années 80 ont fait leur 1ère partie (dont Ratt, Great-White, Quiet Riot, Dokken, Rough Cutt, Mötley Crüe).

     Un accord contractuel avec un nouveau label ne se fait pas attendre. En 1980, Y & T signe avec A & M, et part dans la foulée en studio pour son troisième disque : « Earthshaker ». Sorti en 1981, l'album est reçu comme une révélation, car beaucoup n'ont pas connaissance des deux premiers opus. Succès aux USA, ainsi qu'en Europe (qui est en pleine vague NWOBHM), Angleterre compris. La vague va même déferler sur les côtes du Japon. Ce n'est que le début de leur ascension qui culminera en 1984 avec "In Rock We Trust" (à mon sens plus porté par le succès des disques précédents que par son contenu ; cependant, c'est parfois "Black Tiger" qui est mentionné en tant que meilleure vente. Ce qui paraît plus logique.).
Meniketti et Alves (1982)

     Si la rupture entre Yesterday and Today, correspondant à la décennie précédente, et Y & T, bien ancré dans son époque, n'est pas totale, les changements sont tout de même notables, et il n'y a aucun mal à faire la différence entre les deux.
Ce sont avant tout les guitares qui la font, en s'épanouissant désormais dans un son chromé, penchant vers le Heavy-Metal ; du genre délivré par un puissant humbucker chevalet, aigu aux 3/4 et peu de basses. (- on arrive sur la mode des grattes à un seul micro, appréciées d'ailleurs par Joey Alves -). De quoi déboucher les cages à miel.
La frappe de Leonard Haze -  pour gagner en efficacité - s'est recentré sur un style plus lourd et simple. Très appuyé sur la caisse claire et la grosse caisse.

Une recherche évidente de morceaux percutants et offensifs. 
Ainsi, "Hungry for Rock", comme le laisse présager son titre, fait dans la simplicité. Carré, sans originalité, il semble avant tout avoir été conçu pour séduire, ou assommer, le public des stades.  
"Squeeze", chanté par Kennemore, sort tout droit des titres les plus Heavy des années 70 de Sammy Hagar en mode live tels que l'on les trouve sur le "Live 1980" (avec même le hurlement typé). Tout comme "Hurricane", si ce n'est par contre que ce dernier anticiperait la nouvelle période du Red Rocker
Sur "Knock You Out", ce serait du côté du M.S.G. qu'il faudrait chercher la source d'inspiration (bien que le solo, qui tente de s'imposer avec esbroufe, n'a pas le lyrisme de celui de l'ange blond). 

   Parfois, le groupe garde son essence Heavy-rock où l'on retrouve encore des réminiscences de Rock'n'Roll bluesy. Comme sur 
"Shake it Loose" - un vieux titre déjà rodé sur scène - qui est un Rock'n'Roll classique et nerveux. Ou "Dirty Girl", directement inspiré d'AC/DC. Le riff est une relecture de celui de "Let me Put my Love into You" ("Back in Black").

Le chant de Meniketti a fait un bond en avant. Auparavant peu convaincant, presque bancal, il s'est mué en redoutable chef de guerre haranguant ses troupes pour les mener au combat. Certains l'érigeront parmi les meilleurs. Certes, un jugement plutôt hâtif, car sur la durée, Meniketti pêchera par un manque de nuance. Semblant alors s'enfermer dans une recette qu'il craint de lâcher, hésitant à prendre des chemins de traverse (il ne le fera que lors de son incartade en solo). Néanmoins, sa voix a gagné en force et en assurance, en expressivité aussi. Ce qui lui permet d'être crédible sur des power-ballades prisées depuis quelque temps. Un genre demandé par les radios et très apprécié par la gent féminine. En ce sens, "Rescue Me" et "I Believe in You" vont rapidement devenir des classiques que le groupe va devoir sans cesse rejouer sur scène. Un duo gagnant. A Los Angeles, "Rescue Me" est considéré comme une des meilleures chansons de l'année. Un classique auquel on ne peut rester insensible (même si cela fait tout de même grincer des dents quelques musiciens - jalousie ? -). 
Effectivement, cette pièce fait mouche avec son arpège simple sur trois cordes et quatre accords, soutenue par la basse qui se fait pour l'occasion mélodieuse. Le tout brisé par un riff brutal et binaire (un simple power-chord sur deux cordes que l'on déplace sur 5 positions) pendant que le chant se fait plus implorant. Pourtant les paroles ne volent guère haut : "The wheel kept turning, but I stood still as the shadow looking for the man. .... All people tellin' me about things I do, the more I hear, the less I see the truth. Oooh well ! I'm on the edge, I can't look down. Oooh, slippin' ! Slippin' ! Oooh Help ! I want you to rescue me ! Oooh rescue me § Oooh, you know I want you ! ". Mais bon, ce n'est pas ce que l'on demande généralement à une chanson d'un groupe de Hard-rock.

D'un autre côté, pour les années à venir, il y aura l'obligation de pondre une nouvelle pépite du genre; Avec plus ou moins de bonheur ...
Si "Winds of Change", qui clôt "Black Tiger", est une réussite dans le style slow appuyé pour hard-rocker, par contre le "I'll Keep on believin' ", sur "In Rock in Trust", est l'archétype de la power-ballade formatée et indigeste. Et le slow "This Time", du même album, est interprété sans conviction. C'est du réchauffé. Un truc pour la B.O. d'une comédie à l'eau de rose. Dommage. 
Y & T a prouvé qu'il était capable de pondre de beaux slows (dans le genre power, appuyée ou métôl) mais fatalement à condition que cela ne soit pas une obligation.

    Ces quatre garçons d'Oakland ont bien fait de s'entêter. Même s'il leur a fallu presque neuf ans pour être récompensés à la hauteur de leurs efforts. Et le succès ira encore grandissant. Très populaire en Albion, où Kerrang! (1) n'a pas tari déloges envers ce disque, il aurait battu un record d'affluence au Marquee de Londres. Certes, une petite salle, cependant, en 1984, il fait partie des têtes d'affiches du festival de Donington.
L'album suivant, "Black Tiger" récolte encore plus de succès et est d'ailleurs souvent considéré comme leur meilleur (d'autres optent pour "In Rock We Trust", ou, bien plus rarement, un des deux premiers). Cependant, à mon sens, en dépit de très bons morceaux, son approche nettement plus Metal, qui lui confère une couleur plus froide et plus agressive, a été malheureusement faite au détriment de sa facette Rock'n'Roll et de son lyrisme naïf mais chaleureux - proche d'un Sammy Hagar -. Cela paraît même moins vivant et spontané.
Pendant longtemps, "Earthshaker" a été l'album offrant le plus de chansons jouées en concert.

     Toutefois, Meniketti et ses acolytes auront tendance à un peu trop lustrer leurs chromes, jusqu'à se teinter progressivement de couleurs FM (avec des refrains Pop surchargés de chœurs stéréotypés). En recourant à quelques ficelles d'un Heavy-rock FM, Y & T perdra de sa prestance et de sa flamboyance. Ainsi qu'en crédibilité. Sans jamais tomber dans le style d'un Honeymoon Suite, d'un Europe ou d'un Journey, cette orientation de plus en plus appuyée, probablement alimentée par la crainte de retourner dans l'anonymat, sera un mauvais calcul. En voulant élargir son public, en cherchant à être plus diffusé sur les ondes radio et télévisé, le groupe perd une bonne partie de son public et ne s'en relève pas. Malgré tout ses efforts, il y a quelque chose qui sonne faux. Une fois que l'on a goûté au succès et à tout ce qu'il apporte, d'être considéré comme une star, difficile de redescendre de son piédestal et de faire profil bas.



,75



En hommage à Leonard Haze, décédé le 12 septembre 2016, à l'âge de 61 ans, et Joey Alves, qui a succombé à une rectocolite hémorragique le 12 mars 2017, à l'âge de 63 ans.
Ainsi qu'à Phil Kennemore, décédé le 7 janvier 2011 des suites d'un cancer du poumon, à 57 ans.


(1) Célèbre magazine anglais spécialisé dans le Hard-rock et le Heavy-Metal.



🎶

2 commentaires:

  1. Deuxième, voire troisième division quand même. Pochette ignoble caractéristique de l'époque. Ça m'en rappelle vaguement une autre...

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Celle de "Earthshaker" ça va encore, mais par contre, les suivantes sont affligeantes. Médaille d'or pour "In Rock We Trust". Des pochettes rebutantes qui n'ont certainement pas favorisées l'achat. Est-ce que le groupe n'avait aucun droit de regard sur la présentation de leurs disques ? Ou bien était-ce assumé ?

      Cela te rappelles vaguement une autre ? Des autres ? Celles du bestiaire animal de Blackfoot ? Celle de la "panthère noire" et celle du "cobra". Là, avec Y&T, on a la version manga.

      Supprimer