vendredi 2 juin 2017

Beate et Serge Klarsfeld "MEMOIRES" (2015) par Luc B.



Profession ? Euh… activistes, disons cela comme ça. Ils en ont des trucs à raconter, les époux Klarsfeld, leurs Mémoires font mille pages. Des souvenirs à deux voix. Un chapitre l’un, un chapitre l’autre. Qui éclairent sur le rôle et la personnalité de chacun.

Elle, Beate Künzel, fille d’un soldat de la Wehrmacht, passe la fin de la guerre ballottée de maisons en abris, pour éviter les bombardements alliées. Lui, Serge Klarsfeld, passe la guerre de maisons en planques, pour éviter les rafles de la Gestapo. Son père, Arno, est déporté à Drancy, puis à Auschwitz, où il mourra, tabassé par un garde. Le jeune Serge se réfugie en zone sud, à Nice.

En 1960, Beate gagne Paris, comme fille au pair. Elle connait le français, ce qui lui servira pour travailler comme dactylo à l’Office Franco-Allemand, puis à y écrire quelques articles. Cette même année elle rencontre un jeune étudiant à Sciences Po : Serge. Ils se marient en 1963, et c’est dans sa belle-famille, qu’elle découvre les horreurs perpétrées par les Nazis, ce dont en Allemagne, on ne parlait pas. Il y avait eu quelques procès, par contumace, mais pas plus...

Le tournant a lieu en 1966. Kurt Georg Kiesinger est annoncé comme futur chancelier d’Allemagne. En France, certains s’émeuvent. Kiesinger avait eu quelques accointances avec les nazis. Beate est allemande, et se pose des questions... Les époux entreprennent donc une longue et minutieuse enquête, où il apparait que Kiesinger avait été un cadre nazi influent qui ne pouvait pas ignorer la Solution Finale, contrairement à l'argument souvent mis en avant : "à l'époque, on ne savait pas..." Beate Klarsfeld écrit un article dans le journal français Combat. Elle est aussitôt licenciée de l’Office Franco-Allemand. A partir de là, elle consacrera sa vie à dénoncer ces hommes. Mais pas seulement. Car au delà des effets de com' - parfois reprochés - il s'agissait de les trainer devant les tribunaux allemands. Traquer ces nazis rentrés dans le rang, qu’ils soient politiciens, magistrats, chef d’entreprises…

la gifle de Kiesinger, 1968
Un travail de fourmis, puisqu’il s’agit de dénicher et éplucher des milliers de documents, souvent archivés au CDJC (Centre de Documentation Juive Contemporaine) - à Paris, mais plus tard à New York ou ailleurs – y retrouver les noms, les signatures… Les nazis notaient tout. Tout était systématiquement compilé, annoté, signé, tamponné, des milliers de fiches, feuillets, télégrammes, tableaux, entassés dans des cartons à la fin de la guerre, et que personne n'avait eu l'idée - ou l'envie - d'ouvrir.  

Dans les années 60, pas d’ordinateur. Ce que le livre met en lumière, c’est l’ampleur du travail accompli, lecture, compilation, recopiage, photocopie. Sans budget, ou presque. Si Serge travaille un temps dans un consortium céréalier, ses activités secondaires deviennent rapidement gênantes... Licencié ! On s’arrange avec les copains imprimeurs, pour éditer des publications, les envoyer par centaine d’exemplaires à tous les journaux, aux juges, en France, en Allemagne. Ce travail d’activisme consiste à ne jamais rien lâcher. Malgré les innombrables interpellations, arrestations, nuits en prison, Beate Klarsfeld ne renonce jamais. Elle est la bête noire des politiciens, de Kiesinger notamment, qu’elle parvient à traiter de Nazi en public, et plus tard, à gifler devant la presse. Elle finira par avoir sa démission.

La lutte n’est pas égale. Les « victimes » des Klarsfeld avaient de hautes positions sociales, des avocats, des amis influents - souvent eux-mêmes d’anciens nazis, qui 15 ou 20 ans plus tard, rêvant sans doute d’un quatrième Reich, étaient restés proches. Les actions menées par les Klarsfeld sont souvent illégales. Comment vérifier une signature ? En s'introduisant chez le suspect, en son absence, et fouiller les papiers ! Expulsée d’un pays, jugée persona non grata, Beate revient par la fenêtre ! La tactique la plus utilisée était de s’enchainer en pleine rue, à un arbre, avec des pancartes, banderoles, des photos de ses proies, et hurler « Nazi !! ». Sans le sou, les voyages se faisaient souvent en bus, à travers l’Europe, elle était rejointe par des activistes locaux, qui tentaient de couvrir ses arrières, et aussi par des photographes ou caméraman. Il fallait faire connaitre par tous les moyens ce que ce que les autorités officielles ne pouvaient, ou ne voulaient révéler.

arrestation à Santiago du Chili, 1984
Elle organise ou participe à de nombreuses réunions publiques, s’allie des intellectuels anti fascistes – Debray ou Badinter en France, Günter Grass, avec qui elle se fâchera, car trop modéré à son gout - prend la parole partout, surtout lorsqu’on ne la lui donne pas !

Dans les années 70, les Klarsfeld pourchasseront Ernst Achenbach, politicien allemand très en vue devant être nommé comme délégué allemand à la CEE. Viendront le tour Herbert Hagen, et Kurt Lischka avec le récit rocambolesque de son kidnapping par Beate et une bande de branquignols (elle sera condamnée à deux mois de prison), pour le faire juger en France !

Et commence la traque de Klaus Barbie, planqué sous le nom de Klaus Altman en Bolivie, repéré dès 1971, jugé en 1987. Là encore, Beate Klarsfeld est en première ligne, en Amérique du Sud, en pleine dictature, sachant que les ex-nazis y étaient choyés pour leurs réseaux, et leurs savoir-faire en matière de répression, d’interrogatoires… Comme Walter Rauff pourchassé au Chili dans les années 80. Puis, en France, ce sera Paul Touvier, Maurice Papon, René Bousquet, Jean Leguay, fonctionnaires de Vichy. Les Klarsfeld indisposent les autorités françaises (Bousquet / Mitterrand), mais dans les années 90, la LICRA et d’autres organisations prennent le relais, les Klarsfeld ne sont plus seuls.

Munich, 1971
Le bouquin, dans sa forme, rend compte du rôle de chacun, Beate la combattante, le morbaque en jupon, qui s’accroche, hurle, gifle, et Serge – depuis devenu avocat – plus besogneux, dans les papiers, les archives, les préparations de procès. Avec ensuite leurs fils Arno, qui dès l’enfance, dans les bras de sa mère participait à ses actions. Plusieurs pages sont assez cocasses à ce propos, avec la préoccupation récurrente de Beate : c’est bien joli tout ça, mais j’ai du linge à repasser, et la vaisselle n’est pas faite depuis trois jours… C’est un truc fascinant chez cette femme, qui traque le nazi de par le monde, et songe à sa liste de courses… Une manière sans doute de ne pas lâcher la réalité, d’y rester les pieds bien ancrés.

Autre travail colossal, les ouvrages de Serge Klarsfeld, où il a réussi à tracer les 75 000 juifs français déportées, quel jour, dans quel train, vers quelle destination, une sorte de trombinoscope macabre, mais au combien nécessaire pour les familles et les survivants. Et qui devait aussi servir de preuves pour les procès, notamment ceux des français Touvier ou Papon.

La lecture de ce pavé est assez passionnante, disons-le aussi parfois redondante comme les passages retranscrits du journal de campagne de Beate entre 1968-69, quasiment jour par jour, sur sa traque de Kiesinger. Mais quelle ténacité, quel culot, quel courage (ils se sont fait beaucoup d’ennemis, et ont plus d’une fois réchappé à des attentats) quel destin, quelle vie ! Là, le terme de Mémoires n’est pas usurpé.       



2 commentaires:

  1. C'est pas très vieux, tout ça. On attend la même chose chez nous pour la période de la Collaboration: hauts et petits fonctionnaires, industriels, juges, gendarmes, militaires, policiers...recasés tranquillement après qu'on eut occis quelques lampistes trop voyants. Les pouvoirs n'aiment pas, n'aimeront jamais qu'on ouvre les cartons.
    Les Klarsfeld n'auront raté, et d'importance, qu'une chose: leur fils.
    Les lanceurs d'alerte et autres activistes ne sont pas aujourd'hui mieux traités et il faut avoir une sacrée dose de courage et d'inconscience pour continuer.

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