mercredi 11 octobre 2017

Katie WEBSTER « the Swamp Boogie Queen » (1988), by Bruno


     Katie Webster était une personne extravertie qui sur scène, laissait exploser autant son talent que sa bonne humeur naturelle. Sur ses photos, on la voit effectivement toujours avec un énorme sourire éclatant et naturel. Elle était surnommée « 200 pounds of Joy ».
     C'était une chanteuse à la voix puissante, chaleureuse, fortement marquée par des intonations Soul et Gospel, doublée d'une pianiste au toucher sûr et alerte. Sa maîtrise et sa fluidité la plaçaient parmi les meilleurs pianistes de Blues et de Boogie-woogie.


    Il faut dire qu'avant d'être pervertie par la musique du diable, Kathryn Jewel Thorne (née à Houston, Texas, le 11 janvier 1936) a été formée par la musique classique que sa mère lui inculquait. Ce qui lui permet de savoir lire et écrire la musique. Et par le Gospel, enseigné par son père qui en joue à l'église (où il officie également en tant que ministre du culte). Pour plus de sécurité, et pour veiller à ce qu'elle ne s'écarte pas du bon et droit chemin, ses parents ferment à clé le piano de la maison.

     Cependant, tout comme la grande majorité des jeunes afro-américains de l'époque, la jeune Kathryn finit par découvrir une toute autre musique par la radio (encore une invention diabolique), qu'elle doit écouter en cachette. Grâce à sa formation, elle peut comprendre et retranscrire cette musique sur papier, cette musique si nouvelle et excitante. Dans l'attente et l'espoir de pouvoir un jour elle-même l'interpréter.

     L'occasion se présente lorsque, à 13 ans, en raison de difficultés financières auxquelles s'ajoutait une famille trop nombreuse (comportant en tout dix enfants), elle est recueillie par de la famille en Louisiane. Là, ô miracle, dans la nouvelle maison, siégeait un piano, libre d'accès. Et ici, dans sa nouvelle maison, on ne lui impose aucun genre musical. Elle a le champ libre pour jouer ce qu'elle veut. Alléluia. 
Elle se marie à l'âge de quinze ans, avec ... un pianiste. Beaucoup trop jeune. Le couple ne tient pas et de ce mariage, Katie ne garde que le nom : Webster. Nom qui la suivra jusqu'à la fin de sa carrière, certainement parce que c'est sous celui-ci qu'elle commença à obtenir un début de notoriété.

     Elle fréquente assez tôt les clubs de la Louisiane (source du divorce ?), et parvient à se faire connaître.
En 1959, elle enregistre pour Decca son premier 45 tours, sous le patronyme Katie Webster with the Songettes. Dès les enregistrements suivants - juste deux "45" pour les 60's - seul son nom apparaît. 
Néanmoins, une troupe, les Uptighters, l'accompagnent pour se produire dans les juke-joints et les clubs des comtés.  Elle, et son groupe, sont les vedettes du célèbre Bamboo Club de Lake Charles (le club a fermé en 2006). C'est dans ce même club qu'elle fait une rencontre déterminante. Un soir, le 26 avril 1964, un jeune chanteur de Soul de 23 ans dont le succès - poussé par des singles classés dans les charts US R&B et Popcommence à s'étendre, vient se produire dans ce vieil établissement réputé. Après sa prestation, et alors qu'il est parti se changer dans son espace privé, le public insiste pour que le groupe invite leur vedette locale. Lorsqu'il l'entend de sa loge, le chanteur se précipite (en caleçon, d'après la bio de Frédéric Adrian) écouter cette chanteuse. Très enthousiaste, et impressionné par son énergie, il insiste pour qu'elle l'accompagne en tournée. Après une nuit de réflexion, elle accepte.
Pendant plus de deux ans, Katie Webster accompagnât Otis Redding sur la route. Voire un peu plus, car certaines biographies avancent qu'elle était encore de la partie en 1967. Elle fait sa première partie, le rejoint éventuellement pour un duo ou plus (sur "Tramp"), et l'accompagne parfois au piano. Elle serait sur le "Live at the Whiskey a Go Go". Quoi qu'il en soit, le décès d'Otis est un choc émotionnel qui lui fait abandonner totalement la scène. 
Ce n'est que deux ans plus tard que, progressivement, elle remonte sur les planches. Mais pour une courte période, car lors de la décennie suivante, elle part pour Oackland pour s'occuper de ses parents. Elle met alors sa carrière entres parenthèses, ralentissant sérieusement la cadence. Cependant, en 1977, un premier 33 tours est édité par Flyright Records. Un label Anglais ! Mais, Ce n'est qu'en 1982 qu'elle reprend consciencieusement sa carrière en main.

     Ses prestations gagnaient toujours l'aval chaleureux du public, et elle était reconnue par ses pairs. Elle avait déjà été sollicitée pour le travail de studio, entre autres pour Clifton Chenier et Slim Harpo, (pour ainsi dire, deux ambassadeurs de deux genres proches parents : réciproquement du Zydeco et du Swamp Blues - dont sur le célèbre "Raining in my Heart" de ce dernier -), et elle le fut de nouveau, notamment pour Lonnie Brooks (autre enfant du pays). Elle aurait joué, en tant que pianiste ou chanteuse, sur une centaine de 45 tours. Et aurait même fait diverses sessions de Country & Western. Elle participat à de nombreux festivals de Blues et/ou de Soul-music, et partit plusieurs fois jouer en Europe. 
Cependant, elle restait dans l'ombre des grands bluesmen. Hors des frontières de la Louisiane et du Texas, la notoriété de son nom s'estompait. 
Une fois de plus, il fallut la pugnacité et la passion d'une personne pour qu'enfin, elle ait l'opportunité d'enregistrer un disque à la hauteur de son talent. 

     Une fois de plus, ce fut Bruce Iglauer, l'homme d'Alligator Records, qui lui offrit l'opportunité de pouvoir mieux se faire connaître en enregistrant des disques dans de bonnes conditions, et surtout en ayant une distribution couvrant non seulement une bonne partie des USA, mais aussi en pouvant déborder de ses frontières (via quelques importateurs éclairés et quelques disquaires passionnés). Certes, les années 80 avaient vu, enfin, sortir deci-delà des disques de la dame. Sur Goldband Records, un label maison de Lake Charles, sur l'anglais Flyright Records (un second en 1988, en mono), en Allemagne sur Ornament et sur le célèbre et spécialisé Arhoolie (réédité en CD), mais ces boîtes avaient un rayon d'action plus ou moins limité.
Avec Alligator, ça avait de suite pris une autre dimension.

     Sur les trois albums qu'elle enregistra pour le célèbre label de Chicago, on découvre une musicienne qui maîtrisait haut la main son sujet. Elle excellait avec une égale aisance dans les registres de la Soul, du Rhythm'n'Blues, du Boogie, du Blues, et du Swamp-Blues, en agrémentant occasionnellement l'un ou l'autre de réminiscences Pop. Néanmoins, au contraire de certaines de ses contemporains, elle ne s'était jamais compromet d'aucune façon. Sa musique resta pure et authentique. Fidèle à elle-même. Tous les trois sont, à mon sens, incontournables. Cependant, s'il ne fallait qu'en garder un, ou s'il fallait en choisir un pour s'initier à sa musique, le premier me semble le plus approprié.
Le nom du disque, « The Swamp Boogie Queen », est trompeur car il concerne bien plus son long passé en Louisiane que la réelle nature de sa musique. Même si certains titres représentent plus ou moins une synthèse du Boogie (le piano de la dame) et du Swamp-blues (évident sur « On the Run »), l'album accueille les différents registres cités plus haut.
mini poster de l'édition Deluxe d'Alligator Records du 23.02.99

     La Soul est présente donc - on a presque envie de dire forcément - avec notamment deux titres emblématiques d'Otis Redding, « Fa-Fa-Fa-Fa-Fa (Sad Song)» et « Try a Little Tenderness » ; deux joyaux issus de « Dictionary of Soul » qui ne sont pas à la portée du premier apprenti (de télé-crochet) venu. Il faut du coffre, de la puissance, et surtout un cœur débordant d'émotions et capable de les partager. Katie avait tout ça en elle. Elle les déploie avec un naturel, une aisance rare.  
 le Rhythm'n'Blues avec « Sea of Love » tiré de son premier 45 tours, le Boogie avec un extraordinaire instrumental - où le piano de Katie est éclatant - et « Whoo-Wee Sweet Daddy », la ballade Soul avec "Hold on to What You Got", et même quelques intonations Funk sur "Somebody On Your Case". Mais au-delà des registres utilisés par Katie Webster, il émane de ses disques une impression de joie, de bonne humeur, d'entrain et tout simplement du plaisir de jouer ; un plaisir communicatif. Sa façon de chanter rappelle d'ailleurs parfois Aretha Franklin. Ele n'a nul besoin de brailler ou de s'époumoner pour s'imposer.
 Et pour nous convaincre définitivement de son talent, elle clôture l'album par un splendide Boogie-blues, "Lord, I Wonder", interprété uniquement par elle et son piano dans lequel elle énumère la plupart de ses héros du Blues (en passant par Billie Holliday et Janis Joplin).
"Seigneur, je me demande combien de temps vais-je chanter le Blues ? Ma mère chantait avant moi, prêchant l’Évangile. Puis mon père a continué après elle, jusqu'à sa mort ... je ne me plains pas ! Oooh .... Le Blues a été bon pour moi ... J'ai chanté le Blues et joué aussi du Boogie-woogie. Yeah !"

     Sur cet opus, quelques invités, triés sur le volet, ont apporté leur contribution à cette saine effusion de vibrations de Blues festif. 
On y retrouve avec plaisir Kim Wilson pour deux duos (excellent mariage entre la voix autoritaire de Katie et le souffle chaud de Kim), ainsi que son harmonica sur deux titres également, Anson funderburgh, Bonnie Raitt pour un duo et le Swamp-blues « On the Run » où elle apporte sa science de la guitare slide, les Memphis Horns, et Robert Cray sur « Who's Making Love ? » dans une version nettement plus enlevée que celle qu'il avait donné sur son album du même nom.

     A l'origine, ce CD était vendu avec un sticker mentionnant Robert Cray, qui disait qu' « il ne comprenait pas comment il pouvait être lui-même célèbre quand Katie ne l'était pas », ainsi que Bonnie Raitt avec un « Elle a la voix du siècle ».

     Grâce à ses disques d'excellentes factures, sa carrière s'envola (enfin, elle ne rivalise pas non plus avec le "roi de la Pop" ...). Malheureusement, en 1993, lors d'une tournée en Grèce, elle fait un malaise cardiaque et sa main gauche en gardera des séquelles. 
A compter de cet incident, elle doit sensiblement ralentir le rythme des tournées au profit de visites et de contrôles à l’hôpital. Son cœur fragile la lâcha définitivement le 5 septembre 1999.

     Aujourd'hui encore, même si son dernier disque date de 1991 ("No Foolin' "), son nom résonne aux oreilles des amateurs (éclairés ?) de bonne musique. Et particulièrement de Blues, de Soul authentique et de Boogie. 
Généralement, ceux qui ont eu l'occasion de l'écouter, ne l'oublient pas. Parfois, une édition CD voit le jour. Des vieilles pistes sont exhumées, ou encore des enregistrements en public. Comme le dernier en date, en 2014, seize pièces issues d'un concert en Grèce, en 1993. Sa chanson, "Never Let Me Go", est récupérée pour la deuxième saison de la série "True Blood".


                                                     






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