vendredi 20 octobre 2017

LE REDOUTABLE de Michel Hazanavicius (2017) par Luc B.


LE REDOUTABLE est adapté du livre d’Anne Wiazemsky, qui vient de décéder il y a quelques jours, UN AN APRÈS. C’était la petite fille de François Mauriac, actrice et romancière, et compagne de Jean Luc Godard, en 1967-68. C’est cette histoire, cette liaison, que Michel Havanavicius raconte. Enfin… Ce n’est pas aussi simple.
le couple, en vrai !
Le film a coûté pas mal de blé, la promotion se devait d’être à la hauteur pour remplir les salles. D’autant qu’après son triomphe avec THE ARTIST, Hazanavicius c’était royalement rétamé avec THE SEARCHER (2014). Et avec la promo, on a commencé à entrevoir le problème de ce film. Tout le monde ne parlait que de Godard à Hazanavicius, qui avouait volontiers ne pas en être très fan, et se défendait en répétant que son film était avant tout l’histoire d’un couple qui se délite (comme dans LE MEPRIS…). Sauf que le type dans le film, c’est Godard, on peut difficilement en faire l’impasse.
Le premier quart d’heure dément les propos du réalisateur quant à un non-hommage à l’auteur d’A BOUT DE SOUFFLE. Ce n’est que du Godard, pastiché, repiqué, cloné. Mais brillamment. LE REDOUTABLE est aussi un exercice de style, un film à la manière de… Et comme j’aime le cinéma de Jean Luc Godard, forcément, j’ai aimé ! Mais quid des autres spectateurs ? La question est : à qui s’adresse ce film ? Si c’est un film qui parle du couple, d’engagement, de rupture, alors cet aspect passe en second plan, assez surfait, pas creusé. C’est bel et bien un film sur Godard, qui en 1967 vient de sortir LA CHINOISE, mal perçu, le début de sa période maoïste, politique, radicale, avec l’abandon du cinéma classique pour créer le groupe Dziga Vertov avec Jean-Pierre Gorin, journaliste et cinéaste [voir article sur JLG] et tourner des pamphlets politiques. Mais là encore, à moins de connaitre cette période, comment appréhender ce qu’on voit à l’écran ?
Michel Hazanavicius se cache toujours derrière la figure de Godard. L’exemple avec cette scène dans la cuisine, où Jean Luc dit à Anne « Monsieur et madame Nous ont une fille… elle s’appelle Marion. Marions-nous ! ». Évidement que cette scène est jolie, mais c’est du Godard, typique des jeux de mots et aphorismes dont il truffait ses films.
Si le film s’attache dans un premier temps, à présenter le Godard cinéaste, célèbre, adulé, dans un second, il peint le portrait de l'homme, suffisant, cynique, odieux, insupportable. Ne pouvant critiquer l’œuvre, on détruit l’homme. Peu importe que Godard ait été abject plus d’une fois (souvenez-vous de VISAGES VILLAGES d’Agnès Varda, où elle disait « c’est un chien, je l’aime bien, mais c’est un chien ») qu’il ait humainement mauvaise réputation, pourquoi un tel tir d’artillerie ? Quels comptes Hazanavicius a-t-il à régler, avec le cinéma, ou lui-même ?
Le Godard politique est vu comme un pantin, un opportuniste, un type à l'idéologie nébuleuse. Cette scène dans un amphi, à la Sorbonne, où il s’empêtre dans ces démonstrations hasardeuses à propos de la Palestine : « les juifs d’aujourd’hui sont les nazis de demain, non, d’hier… euh non… les nazis d’aujourd’hui sont les juifs, euh… non… ». Regards gênés dans l’assistance.

à droite, Grégory Gadebois
Je ne suis pas là pour défendre les opinions politiques de Jean Luc Godard, autre temps, autres mœurs, les cols mao fleurissaient à chaque coin de rue du Quartier Latin. Mais Hazanavicius n’offre pas de contre poids. Son Godard semble représenter tous les maoïstes. Or, il en fait une caricature. De là à trouver le film réac, certains le pensent. Moi, je dirai qu’il est maladroit. Faire de Godard une figure de comédie, lunaire, à la Buster Keaton, pourquoi pas, bonne idée. La fiction – si cela en était une - sert à ça. Et oui le film est drôle, le personnage est drôle, spirituel, intelligent. Mais cet olibrius semble résumer à lui seule une idéologie. C’est charger un peu la mule…
J’ai aimé la mise en scène référencée, chaque travelling est soigné, millimétré, décors, accessoires, couleurs, lumières, tout est parfaitement maitrisé, le film est tourné en argentique. Hazanavicius est aussi monteur de ses films. Le rythme ne faiblit pas, on ne s’ennuie jamais. Il y a de l’invention, des idées, ça joue sur l’image, comme cette scène développée en négatif. Et les acteurs sont bons. On retrouve Grégory Gadebois dans le rôle du journaliste Michel Cournot, dont l'unique film LES GAULOISES BLEUES était sélectionné à Cannes en 68... et déprogrammé la veille par... Godard ! Jean Pierre Mocky fait aussi une apparition. 

Louis Garrel semble bien s’amuser – fallait-il ou pas le faire parler avec le chuintement caractéristique de JLG ? – et la jeune Stacy Martin, qui malheureusement n’a pas matière à vraiment défendre son personnage, est fraiche comme la rose, craquante. Hazanavicius le sait, et la filme souvent nue. Complaisance ? Parfois… mais est-ce là aussi un hommage au Godard des années 80 qui a déshabillé kyrielle de jeunes actrices devant sa caméra ?
D'où cette scène : Louis Garrel en nu frontal, se brossant les dents, disant : « mais pourquoi ce besoin des réalisateurs de toujours filmer des gens à poils ? ». Mise en abîme du fameux alibi « si ça va dans le sens du scénario »… Eh, oh, Michel, elle est mignonne ton actrice, point barre, assume !
Une réflexion pour finir... Souvenez-vous du premier fait d’arme d’Hazanavicius. LA CLASSE AMERICAINE (1993) ou LE GRAND DETOURNEMENT. Un métrage (pour la tv) monté avec des scènes de films de la Warner, redialoguées – avec les vraies voix françaises - un peu comme LES CADAVRES NE PORTENT PAS DE COSTARDS. Une réussite qui reprenait la construction de CITIZEN KANE. Donc un film reposant sur l’existant. Quels sont les grands films d’Hazanavicius ? OSS 117 (2006 /2009) et THE ARTIST (2011). Donc des films pastiches, qui là aussi réutilisaient volontairement des codes élaborés par d’autres. C’est encore le cas avec LE REDOUTABLE. D’où ma réflexion : Michel Hazanavicius est-il un auteur, ou un habile faussaire ?

A conseiller d’urgence… à qui aurait envie de le voir.

Pour relire l'article consacré à Jean Luc Godard :  - clic JLG -

 


couleur  -  1h45  -  format 1:1.85 pellicule 35 mm


2 commentaires:

  1. Mmouais...Le film a été unanimement descendu dans La Dispute, sur France culture.

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  2. Pas vu, et pas envie de voir...

    Il me semble que pour faire un film sur Godard, il suffit de prendre et de mettre bout à bout des reportages ou des interviews où il est présent. Résultat lunaire garanti ... et là, pas besoin de s'arrêter aux sixties. Il devient encore plus asocial et perturbé au fil des ans ... même si vraisemblablement, tel un vieux singe savant, il réagit comme les gens ont envie de le voir réagir...

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