vendredi 3 novembre 2017

AU REVOIR LA-HAUT d'Albert Dupontel (2017) par Luc B.


On ne s’entendait pas sitôt à l’adaptation du livre de Pierre Lemaitre, prix Goncourt 2013, et l’annonce qu’Albert Dupontel se mettait à la tâche était de bon augure. Après son jouissif et très réussi NEUF MOIS FERME, Dupontel sort les gros moyens, et nous propose un film aussi distrayant qu’exigeant. Les moyens sont là, permettant la reconstitution d’un Paris (numérique) de l’après Première Guerre, et une très belle première séquence de tranchées, travelling-avant toute ! Les clins d'oeil aux SENTIERS DE LA GLOIRE de Kubrick ne sont pas fortuites,  j’y ai même vu un plan identique, lorsque le lieutenant Pradelle, sifflet au bec, harangue ses troupes pour monter au front.

Si vous ne connaissez pas le roman : aux derniers jours de la guerre, en novembre 1918, le soldat Edouard Péricourt, fils d’un riche banquier parisien, sauve la vie du brave soldat Albert Maillard. Mais se prend un obus, qui le défigure. Éternellement reconnaissant, Albert accepte de faire équipe avec Edouard, pour le soustraire des archives militaires, lui créer une nouvelle identité, et le suivre à Paris pour monter une escroquerie devant faire d'eux des hommes riches... 

Le film de Dupontel est très fidèle au livre de Pierre Lemaitre, ce qui n’était pas évident. Le réalisateur arrive à condenser en moins de deux heures le foisonnement du roman, grâce au rythme sans cesse soutenu, en ne gardant que l’essentiel. L’intrigue ne cesse de s’enrichir, de s’épaissir. Il y a aussi chez Dupontel l’envie de faire de l’image. Plusieurs passages (comme le résumé de la jeunesse d’Edouard) ne sont que purement visuels, cinématographiques. Le personnage d'Edouard Péricourt, mâchoire explosée, ne communique qu'en dessin, grognements ou pantomime, astucieux hommage au cinéma muet.

On sent l’envie de Dupontel de faire vivre sa caméra, un peu trop parfois. Faire passer une caméra dans un trou souris (comme Ophüls le faisait) est tellement facile aujourd’hui, avec le montage numérique. Un des petits reproches à faire au film serait donc la réalisation de plans parfois inutilement alambiqués (le travelling à travers la voiture, devant l’hôtel particulier des Péricourt, l'arrivée de Maillard dans son repère) là où un simple plan fixe aurait suffi. Un petit excès de mouvements, d’axes, une ascendance proche d’un Jean Pierre Jeunet. Mais sur l'ensemble un vrai et beau travail visuel, foisonnant, créatif (à commencer par l'affiche du film) notamment dans l'utilisation d'une panoplie de masques, références à des courants picturaux.

Mais les qualités du film sont aussi ailleurs, outre l’intrigue due à Pierre Lemaitre, et d’abord à l’interprétation. Dupontel lui-même, brave type, éternel inadapté, qui se grime en Buster Keaton, chapeau plat sur la tête, à Nahuel Pérez Biscayart dans le rôle d’Edouard, la gueule cassée dont la palette d’émotions et de sentiments ne passent que par le regard, ou par les masques dont il s’affuble. Laurent Lafitte en arriviste cynique (Pradelle) est abjecte à souhait (la scène du cimetière avec les chinois !), un profiteur de guerre corrompu jusqu'à la moelle, qu’on aime détester. Niels Arestrup, en banquier arrogant et influent, représentant le capitalisme triomphant, impose sa stature de commandeur. 

Les rôles féminins passent sans doute au second plan, la sœur d’Edouard, Emilie Duquesne, et la domestique Mélanie Thierry, toutes deux impeccables. Et les seconds rôles… Ah, Michel Vuillermoz en inspecteur du gouvernement, tatillon, qui vient emmerder Pradelle dans ses combines à la noix (le salaud rabote les cercueils des morts de quelques centimètres de bois, quitte à découper têtes ou pieds !) ou le maire joué par Philippe Uchan, chargé de l’appel d’offre d'un monument au morts. On a aussi Philippe Duquesne ou Gilles Gaston-Dreyfus, et André Marcon, bref, un festival d’acteurs. A propos de ce dernier, le personnage n’est pas dans le roman, mais une création (nécessaire ?) du film, qui se passe en un long flash-back. 

AU REVOIR LA-HAUT est une vraie réussite, narrative, visuelle. Sans doute le décorum parfois trop léché ne rend pas la charge politique aussi virulente qu’on aurait pu le croire. Le film d’Albert Dupontel est à la fois populaire, par son intrigue, son suspens, son humour, et d’exigeant par son sujet, sa mise en scène. L’histoire de ces deux poilus revenus de l'enfer qui prennent leur revanche sur la société, le patriotisme, les nantis - superbe scène de liesse au Lutécia avec les marionnettes des dirigeants (« ceux qui ont voulu la guerre, ceux qui l’ont faite, ceux qui ne l’ont pas combattue ») nous entrainent dans un tourbillon d’intrigues romanesques. C’est tout ce qu’on attend du cinéma.

lien vers la critique du livre de Pierre Lemaître : - clic -

AU REVOIR LA-HAUT (2017)
couleur  -  1h58  -  scope
   



1 commentaire:

  1. J'ai toujours beaucoup aimé Dupontel, son discours, sa vision des choses, imprégnée de bande dessinée. Ce film, je l'ai trouvé exceptionnel. Tout est superbe : les acteurs, les images, la mise en scène, le scénario. Et le discours en filigrane est puissant, sans être caricatural. Du grand art, vraiment.

    RépondreSupprimer