lundi 6 novembre 2017

JEUX DE MIROIRS de E.O. Chirovici – par Claude Toon



Eugen-Ovidiu Chirovici
Beaucoup de polars, surtout les livres courts, ont la fâcheuse tendance à épouser la même trame littéraire : un meurtre à l'infinitif ou au pluriel en cas de tueurs en série, un flic un peu usé par les années de planques et divorcé, une enquête et un ou plusieurs coupables. Bon ok, je caricature un chouia, mais ce préambule est destiné à souligner l'originalité de Jeux de miroirs. Pour ce premier ouvrage en anglais, l'écrivain roumain Eugen-Ovidiu Chirovici a découpé son récit en trois parties, la même histoire diabolique donnant lieu à trois versions différentes vues par trois personnages qui poursuivent la même quête de vérité à propos d'une affaire criminelle ; successivement : un écrivain raté, un journaliste et un flic à la retraite…
Pour ceux qui ont vu Jacky Brown de Quentin Tarantino, le cinéaste avait employé ce procédé pour nous montrer sous trois angles (regards) divergents la scène de remise d'une grosse somme d'argent déposée dans une cabine d'essayage dans laquelle l'héroïne essayait un tailleur pantalon (juste un parallèle)…

J'ai découvert Eugen-Ovidiu Chirovici sur le conseil de ma chère Maggy qui semblait assez emballée par ce bouquin.  Le romancier roumain est né en 1964 en Transylvanie (rien à voir avec Dracula). Diplômé en économie, il s'est révélé des talents d'écrivain en 1991, d'abord dans sa langue maternelle, avec Le Massacre. Jeux de miroirs est son 11ème roman et le premier dans la langue de Shakespeare.
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Partie 1 "Peter Katz" : 2016 : Peter Katz est éditeur. Des manuscrits, il en reçoit à la pelle, les apprentis écrivains étant fort nombreux à défaut d'être talentueux. De la pelle à la poubelle, le chemin est souvent rapide. Après le Martin Luther King Day, le 15 janvier, il épluche ses mails et déniche un message qui l'intrigue d'autant que celui-ci est accompagné du début d'un livre (une soixantaine de pages). Il s'agit d'un récit à la première personne, autobiographique limite confession, de la plume d'un certain Richard Flynn. L'ouvrage complet sera envoyé si l'éditeur est intéressé. Un témoignage étrange à la première personne. Résumons :
Les sombres passages de Princeton
En 1987, Flynn intègre la faculté de Princeton pour préparer un diplôme en histoire. Il partage l'appartement d'une étudiante plus âgée, Laura Baines. Laura, après des études de mathématiques vise un nouveau diplôme en psycho et suit les cours d'un professeur réputé, Joseph Wieder. Le Mentor d'une étudiante admiratrice, une évidence pour Richard. Maîtresse ? Mystère. Le psy est un vieux célibataire en pleine forme physique, un coureur de jupons hyperactif de surcroit. Laura présente Richard au Pr Wieder qui l'engage pour classer sa bibliothèque. Dans son manuscrit, Richard détaille sa propre liaison avec Laura. Il l'affirme intense mais la bluette se terminera en cul de sac… Wieder est retrouvé mort, roué de coup. L'affaire ne sera jamais élucidée. Flynn précise que Derek Simmons, un ancien criminel déclaré irresponsable par Wieder et lui servant d'homme à tout faire, aurait pu être le suspect idéal, mais avait un alibi… Le Pr Wieder,était expert auprès des tribunaux… et n'avait pas que des potes !
Peter Katz tente de contacter Richard Flynn pour lui proposer de lire la suite. Mais ce dernier meurt d'un cancer et le manuscrit complet est introuvable, si tant est qu'il existe car même la compagne de son auteur n'en a aucune trace…

Partie 2 "John Keller" : Peter Katz se passionne pour l'affaire et propose à un ami journaliste, John Keller, soit de chercher les clés du mystère de la mort du Pr Wieder, soit d'écrire une fin plus ou moins crédible en vue d'une publication grand public, quitte à prendre certaines libertés avec la réalité. John Keller agit en journaliste, interviewe, capitalise des témoignages plus ou moins cohérents, n'a pas la possibilité d’accéder aux documents de l'enquête. Il abandonnera ses scénarios chimériques d'autant que Laura devenue une brillante spécialiste des sciences cognitives (ses travaux ont-ils été pompés sur l'héritage secret de Wieder ?) menace de poursuite en cas de diffamation. Pas devenue commode la Laura

Partie 3 " Roy Freeman" : Roy Freeman est flic à la retraite. Il est contacté par Matt, un ancien collègue qui avait enquêté en 1987. Ce dernier avait été approché par Keller et du coup voit son passé et son échec resurgirent. L'auteur nous entraîne vers une nouvelle trame plus policière. Après les élucubrations courageuses mais vaines de Keller, Freeman va tout reprendre en mode flic : éplucher des dossiers vieux de trente ans, interroger les protagonistes et non pas les interviewer, ce n'est pas la même chose… D'analyste de notes de téléphones jaunies en as de détection des mensonges, Roy Freeman démontera l'incroyable Cluedo, la valse du ou des coupables… Mais si longtemps après, où sont les certitudes absolues ?
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La première partie pourra déconcerter sur le plan stylistique. Tout à fait normal à la lecture du manuscrit de Richard Flynn qui maîtrise l'orthographe et la grammaire, mais n'a aucune chance pour le Nobel. Le récit à la première personne et chronologique des deux autres parties affiche un style serré et palpitant, sans temps mort avec une belle construction logique évitant de se perdre dans le dédale des suppositions. La psychologie des personnages est fouillée, toute en ambigüité. Le mensonge s'insinue partout comme une vermine.
Un bon polar, un plan original en forme de trilogie, une interrogation sur la validité de nos souvenirs. On ressort de cette lecture avec des doutes marqués sur la valeur des témoignages, surtout quand le temps les a fantasmés.


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