vendredi 26 janvier 2018

FRIEDKIN CONNECTION de William Friedkin (2013) par Luc B.

Avec sa réputation de cinéaste caractériel, William Friedkin n’aura en réalité giflé que trois acteurs dans sa carrière ! Et toujours de cette manière : à William O’Malley (qui jouait le père Dyer dans L’EXORCISTE, pas un acteur, un vrai révérend) qui au bout de trente prises n’arrivait toujours pas à sortir correctement une réplique de trois mots, Friedkin lui demande, affable : tu m’aimes bien ? Euh… oui. Je suis ton ami ? Euh, oui Bill… Tu as confiance en moi ? Oui, Bill. Et paf ! Une tarte dans la gueule ! Maintenant, rejoue ta scène… La 31ème prise fut la bonne... Un truc qu’il a appris d’Henri George Clouzot.

Tournage de "French Connection"
Le prologue de cette autobiographie est assez réjouissant. Et en dit beaucoup sur le personnage. Friedkin balance à la poubelle des dessins d’un obscur admirateur. Qui s’avère être Jean Michel Basquiat ! Ses graffitis vaudront quelques années plus tard des milliers de dollars. Une autre fois il balance une cassette démo d’un jeune musicien de funk qui aimerait travailler avec lui. Rien à foutre. Le chanteur en question était Prince. Et puis il va  dégager un scénario jugé pas terrible et sans avenir qu'on lui proposait de produire… STAR WARS !
    
William Friedkin aura passé sa vie à rater des rendez-vous. Et en même temps (Macron sort de mon corps !), sa carrière se fera par une série de hasards. Il répond à une annonce, et entre à 16 ans au service courrier d’une chaine de télé, à Chicago. Mais pas la bonne, il s’est trompé d’adresse ! Qu’importe, il est embauché, et en quelques années passe du courrier, au secrétariat, à la régie plateau, et enfin, réalisateur de dramatiques. En 1962, à contre cœur, il se rend à une réception. Il ne connait personne, et discute poliment avec un prêtre. Qui se trouve être l’aumônier de la prison de Chicago. Hasard de la rencontre, cela va l’amener à réaliser un docu-drama sur Paul Crump, prisonnier du couloir de la mort.
THE PEOPLE VS PAUL CRUMP va le faire connaitre, et il intègre la prestigieuse agence William Morris. Il réalise des documentaires pour la télé, comme THE THIN BLUE LINE, sur le recordman de vitesse sur terre. Il intègre même le cockpit de l’engin armé de sa caméra, engin qui roulait à 895 km/h ! On comprend ses affinités avec les courses-poursuites qu’il tournera ensuite. Il tourne un épisode de la série HITCHCOCK PRESENTE (et se fâche avec le maitre pour une histoire de cravate), et en 1965, tourne un vrai-faux docu sur et avec Sonny and Cher. Un bide. Suivent trois films pour le cinéma, adaptés de pièces de théâtre, dont Harold Pinter. Tous des échecs cuisants. En 1970. Il emmerde tout le monde, explose les budgets, sa petite réputation ne fait plus rire personne.
Avec Al Pacino sur "Cruising"
Et on lui passe un bouquin à lire, les souvenirs de deux flics de la brigade des stups, qui ont démantelé dans les années 60 un réseau de drogue entre la France et les Etats Unis. Il finira par en faire un film : THE FRENCH CONNECTION.
Un des aspects saisissant de ce livre, c’est de voir à quel point il est difficile de faire un film. Pourtant, à partir de ces années-là, le multi oscarisé Friedkin travaille pour de grands studios, la logistique devrait suivre. Mais avec lui, un tournage n’est qu’une accumulation de problèmes, une avalanche d’emmerdes, entre des rushes inexploitables techniquement, des incompatibilités entre des pellicules Kodak ou Fuji, des acteurs malades, des décors qui prennent feu, des bandes son décalées, des rivières asséchées quand on prévoyait des crues, sans compter les pontes des studios qui veulent refaire ses montages, ou le comité de censure qui classe « X » la plupart de ces films ! Faire un film pour Friedkin, c'est une guerre de tous les instants, il doit se battre, jusqu'à y laisser sa peau. Il en fera plus tard une crise cardiaque.
  

Avec Linda Blair sur "l'Exorciste"
Si William Friedkin est avare de souvenirs privés (en deux phrases il nous apprend s’être marié trois fois, deux enfants, et c’est tout, même pas un mot sur Jeanne Moreau avec qui il a pourtant partagé la vie) le bouquin fourmille de détails quant à la production de ses films. Comme Friedkin intervient de A à Z, écriture, montage, mix, c’est assez passionnant. Je ne résiste pas à raconter le tournage de la fameuse poursuite de THE FRENCH CONNECTION. Des jours et des jours de prises de vue, à New York, une grosse logistique, des figurants-cascadeurs partout, des garde-fous, et un résultat qui ne le convainc pas. Trop mou. Friedkin est déçu. Le pilote de la voiture la joue petit braqué (quand ce n’est pas Gene Hackman dans les contre champs, mais alors à petite vitesse, ou sur une plateforme). Le mec prend la mouche, et lui dit : ok, tu veux jouer au dur ? Demain matin tu montes avec moi. La voiture est bardée de caméra, Friedkin assis à l’arrière, protégé par un matelas, en tient une. Le pilote démarre en trombe, fera le parcours entier, soit 26 blocs sans s’arrêter, à 135 km/h, sans autorisation, sans aucune sécurité pour les passants et les autres voitures, bref, de l’impro totale. Les images du film sont pratiquement toutes tirées de cette virée à toute berzingue !
Tiens, le truc pour briller dans un diner en ville. Dans L'EXORCISTE, la voix du diable qui parle à travers la petite Regan, est celle de l'actrice Mercedes Mac Cambridge (vue dans JOHNNY GUITAR ou LA SOIF DU MAL) qui s'est tapée trois paquets de clopes et une bouteille de whisky pendant la post synchro. Et qui a demandé à ne pas être créditée au générique, pour garder le mystère, qu'on pense que la gamine parlait vraiment ainsi. Quand le film est sorti, avec le succès que l'on sait, elle a littéralement agressé Friekdin : espèce d'enculé, je ne suis pas au générique, tu m'avais pourtant promis !!


Tournage de "Killer Joe"
Friedkin vole beaucoup ses images. S’il n’obtient pas les autorisations, il prend sa caméra, ses acteurs, et hop, en loucedé. C’est pourquoi ses films ont ce caractère documentaire, brut, ils font vrais. Il fait réellement fabriquer de faux billets dans POLICE FEDERALE et crée un véritable embouteillage ! Pour CRUISING (1980) il tourne réellement dans des boites SM, de vrais clients, les actes ne sont pas simulés. Et il donne beaucoup de rôles à des amateurs, des proches, des flics qui jouent des flics, des curés qui jouent des curés, des médecins qui jouent des médecins. Il rencontre les professionnels, se renseignent, mais au lieu de reconstituer les scènes en studio avec des comédiens, il demande à les filmer dans leur environnement, et intègre les séquences à ses films. Les anecdotes de tournage sont nombreuses, et permet de suivre tout le processus de créatif, expliqué, détaillé.


Un autre aspect se dégage du livre. William Friedkin est célèbre, pourtant, à part THE FRENCH CONNECTION et L’EXORCISTE, quasiment tous ces films ont fait des fours. La poisse, c’est terrible. A chaque nouveau projet on se dit que ce sera le bon, enfin une reconnaissance publique, critique, et pis non. THE SORCERER (1977, remake du SALAIRE DE LA PEUR) qu’il voulait être son CITIZEN KANE à lui, est un gouffre financier, un échec total, comme CRUISING où il se fâche avec Al Pacino. POLICE FEDERAL LOS ANGELES (1985) redort son blason, certains films marchent mieux, comme L’ENFER DU DEVOIR (2000).
Alors il se tourne vers la mise en scène d’opéra, il en dirigera des dizaines, et en sera acclamé, il revient à la télé pour un remake de 12 HOMMES EN COLERE (gros succès), et renoue avec les petites productions, deux films tirés de pièces d’un même auteur, Tracy LettsBUG (2007) et KILLER JOE (2012) dernier film à ce jour. Et les ennuis qui viennent avec, notamment le comité de censure pour KILLER JOE… faut dire, il n’y va pas de main morte, le salaud !!
  
William Friedkin est lucide, sur son talent comme dans ses erreurs, son comportement. Le succès lui est monté à la tête, il l’avoue. Il aurait aimé être un Welles, un Clouzot, un Godard, un Fellini. Sur chaque film, il dit avoir donné le meilleur, mais quand ça veut pas… A part Francis Ford Coppola (avec qui et Peter Bogdanovich ils monteront une société de production pour être enfin indépendants, et le projet capotera bien sûr) Friedkin parle peu de ses collègues, sauf à railler les Spielberg et Lucas, pour avoir dénaturé le cinéma, avoir créé un nouveau genre, les blockbusters familiaux, laissant peu de place à des profils comme le sien. Sur ce point il n’a pas tort. Sans doute immodeste et aigri, mais le personnage est sans concession.         

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