lundi 9 avril 2018

FRANKENSTEIN CONQUIERT LE MONDE de Ishirô Honda (1965) – par Claude Toonstein



Ishirô Honda dirige King Kong contre Godzilla
Furankenshutain tai chitei kaijû Baragon (Titre original). Après les cervelles cannibales de Monstres invisibles commenté il y a quelques semaines, je me sens en veine pour brocarder gentiment les savoureux nanars horrifiques des années 50-60. Cela dit, le genre a perduré, puisque Luc nous avait décrit par le menu une histoire récente de lapin géant et priapique qui massacrait une bande d'ados dans Bunny, Operation Pussy (Clic) et Rockin' partait à la chasse d'un sanglier tout aussi mutant et ravageur dans Chaw (Clic). Tiens c'est rigolo, on le verra ici aussi aujourd'hui dans son premier petit rôle, le suidae obèse et poilu ; Australie (Razorback), Corée, Japon : une vraie carrière internationale avant le tournebroche…
Pour que ce blog érudit ne sombre pas définitivement dans le bac à sable des rédacteurs adeptes de la loufoquerie cinématographique chère au site NanarLand, voici un essai culturel sur les films d'épouvantes japonais. Il n'y a pas que Godzilla contre tout et rien, les échanges internationaux de créatures débiles ne connaissent pas de frontières !
Dans les années d'après-guerre, chaque nation avait son ou ses auteurs de films fantastiques : Terence Fischer en Angleterre, pour la Hammer  recyclait la faune monstrueuse US des années 30 : Dracula, Frankenstein (déjà lui), la Momie et autres goules diverses avec souvent en vedette Peter Cushing ou Christopher Lee ; aux États-Unis, Jack Arnold, Roger Corman et quelques autres préféraient s'attaquer aux insectes de la taille d'une fourgonnette voire d'un semi-remorque. Le Japon, traumatisé par l'horreur d'Hiroshima et de Nagasaki va trouver sa voie originale, puiser dans sa mythologie pour ses nanars, même si le film de ce jour invite la créature british mal raccommodée de Mary Shelley.

"J'étais plus peinard en Transylvanie..."
Les films de combat de monstres appelés kaijū eiga seront une dimension de la culture japonaise dès le milieu des années 50 ; la plupart des moins risibles étant réalisés par Ishirô Honda. Si le bestiaire de ces animaux à l'existence plus naturelle que fantastique pour les japonais est large, Godzilla, le célèbre dragon cloné T-Rex et Gamera, la tortue géante mue par des tuyères 😄 et équipée de dents de phacochère (la copine des petits nippons de dix ans), s'imposeront majoritairement face à des bestioles concurrentes et belliqueuses à usage unique dont la liste reste sans fin. Aujourd'hui, la bête se nommera Baragon.
A l'époque, ces films aux scénarios répétitifs et à la réalisation fauchée rivalisent de niaiserie avec les péplums fantastiques tournés en série à Cinecitta (Hercule, Maciste). A savoir quelques catcheurs sur le retour et des midinettes permanentées en minijupes. (À chaque pays ses navets poilants pour soirée ciné bon marché). Ne crachons pas dans la soupe, car quand j'étais gosse, et je le suis encore un peu, on se marrait bien… D'ailleurs Pacific Rim de Guillermo Del Toro, mêlant en 2013 kaijū et Transformers, doit son succès à un budget pharaonique et à la technologie numérique, sans nier au cinéaste un talent certain de conteur et de metteur en scène… Une suite est attendue !!
Ishirô Honda est crédité de la plupart des kaijū eiga marquants dans une liste de 79 longs métrages établie par Wikipédia, principalement ceux tournés entre 1954 (le 1er Godzilla) et 1975. Scénariste habile et imaginatif, le cinéaste (1911-1993) n'avait peur de rien, surtout pas du ridicule, y compris dans d'autres thématiques fantastiques et horrifiques.
Ainsi, dans l'un de ses films cultes, Matango de 1963, des naufragés abordent une île mystérieuse où, un à un, ils vont se transformer en champignons géants munis de petits bras et de petits pieds et surtout d'un grand chapeau fongique, genre ceps de 2m de haut 😁. Hilarant et images très colorées ! On pense à Fantasia et à la danse des champignons sur la musique de Casse-noisette… À voir pour une autre chronique. Honda sera le promoteur des effets spéciaux au Japon.
Cool ma corne lumineuse. Sinon, moi, je bouffe les poules !
Il faut admettre que la qualité de la mise en scène et la rigueur du montage ne sont hélas pas toujours au rendez-vous chez Honda. Autre évidence : la tragédie nucléaire qui frappa le Japon et les conséquences à long terme sur les populations est une constante dans sa filmographie. Stakhanoviste de l'imagination délirante, Ishirô Honda invitera deux monstres légendaires occidentaux dans ces combats de coqs XXXXXL : King Kong (à oublier) et la créature de Frankenstein, cette dernière étant toujours à elle seule une manne pour le cinéma. Ici, le délire visuel de Honda est tellement déjanté que je ne me prive pas de vous en parler…
Nota : comme souvent il y a confusion entre le patronyme du baron Frankenstein et celui de sa créature qui se fait abusivement appeler du nom de son géniteur. Pour la simplicité, je ferai la même erreur dans la suite de ce papier…
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Hiver 1945 : le nazisme vit son crépuscule. En Transylvanie, des SS investissent le laboratoire d'un rejeton du Dr Frankenstein pour s'emparer d'une lourde malle métallique au désespoir du savant fou. L'objet est remis à des japonais qui cinglent en sous-marin vers leur pays en déconfiture contre les USA. Le commandant de bord ouvre la malle et découvre non pas Hitler congelé (une hypothèse) mais le cœur de la créature de Frankenstein, organe battant vigoureusement dans un bocal de liquide nourricier, tel un cornichon animé. L'idée ? Percer ce secret et redonner vie et immortalité aux soldats morts ou blessés au combat… Un B29 et une bombe A mettront fin le 6 août 1945 aux premiers travaux dans un labo secret d'Hiroshima. (On se croirait dans X-Files.)
15 ans plus tard, une équipe de trois chercheurs s'acharnent à sauver des victimes des radiations : le Dr Yuzo Kawaji (Tadao Takashima), le Dr James Bowen (Nick Adams), un américain, et enfin la ravissante Dr Sueko Togami (Kumi Mizuno). (Le dégel de la relation américano-nipponne conduisait à ce genre de casting ; ainsi des jeunes scouts américains et japonais sympathisaient dans l'épisode Gamera vs Viras.) Les médecins travaillent sur la régénération cellulaire.
Yuzo, James et Sueko
Un début prometteur, du cinémascope, et même quelques beaux plans qui font penser à Ozu : quand Sueko Togami dîne en amie avec James Bowen : caméra fixe et de profil, à hauteur des personnages. Pareil ultérieurement pour les réunions de travail. Mais soyons clair, un joli fouillis va prendre la relève. Le scénario s'égare sans grande logique. Quelques clés :
Un adolescent en guenilles rapine de la nourriture dans les parages de l'hôpital. Le soir du fameux dîner, sous les fenêtres de Sueko Togami, un taxi percute le môme sans le blesser, à la grande stupéfaction des deux médecins. Ils vont le découvrir vivant tel un enfant loup dans une grotte. Avec des soins, il grandit vite. (Pourquoi ? alors qu'il avait une croissance normale depuis 15 ans, voici l'une des innombrables incohérences du film.) Il devient violent et le directeur de l'hosto, un administratif, le fait mettre en cage comme au zoo. (Même management que l'APHP.) Les dossiers secrets parlent. Visite éclair à Franfort chez le Pr Risendorf qui connaît le dossier Frankenstein mieux que sa feuille d'impôts ! Une caricature de savant au crâne en peau de fesses, lunettes cerclées et barbichette, qui explique que le cœur a pu faire repousser le corps originel en entier ! La vache ! Et le cœur est devenu le gosse qui vagabondait… Pas magique cette métamorphose ? Cela dit on est dans un film fantastique. Tiens un tremblement de terre et une plateforme Off-shore qui s'écroule ? Pourquoi à ce moment là ? On verra plus tard.
𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮 Qu'est-ce qu'elle a ma gueule ? 𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮𝅘𝅥𝅮
Comme King Kong en 1935, exhibée face à une équipe de télé givrée la créature dite Frankenstein prend peur et plie comme du fil de fer sa cage. Ça ne fait pas un pli (haha), il se barre dans les montagnes. Affamé, on le verra pourchasser en vain le sanglier de Rockin'. Démonstration que c'est bien Frankenstein, il s'est arraché une main pour se libérer des menottes et la main cavale en liberté dans le labo (voir la bande-annonce). Quand je dis que Ishirô Honda pense à tout 😊. Le réalisateur insère des gags idiots, inutiles et surréalistes : bain de minuit de la créature qui fait maintenant 20 m de haut pour asticoter un petit paquebot plein de fêtards. Panique mais pas de dégâts. Comme son ancêtre créé par James Whale en 1931, Frankenstein n'est pas méchant, il découvre son monde, se rencarde, a peur… Les maquilleurs ont fait au comédien maigrelet (Koji Furuhata) une tronche à la Boris Karloff façon japonaise, à savoir une tignasse d'enfer et une dentition à paniquer un orthodontiste et pour accentuer son air crétin…
Le réalisateur ne maîtrise plus grand-chose, trop d'idées, un montage confus passant du coq à l'âne. Tiens, l'incontournable défilé de Jeeps et un char d'assaut. Bon, les officiels veulent lui faire la peau. Mais Honda aime ridiculiser les bidasses. Le char finit tout seul dans une ravine 😋.
Ah enfin, une montagne explose et, chers amis, voici Baragon libéré, le saurien pataud de service qui bouffe tout sur son passage. Séquence d'anthologie : plan 1, il approche d'un poulailler ; plan 2, la bouche de la sympathique frimousse du "vrai" monstre rejette les plumes d'un oreiller. L'art de fabriquer un nanar absolu à partir d'une idée pas pire qu'une autre.

- Plutôt sympa le billet du Toon M'sieur Honda... Non ?
- Moui mon petit Godzilla, mais il a émis des réserves quand même.
- Ô rien de méchant... Sinon, z'auriez pas une clope à me filer ?
La suite vous la devinez : Frankenstein va affronter Baragon pour sauver le pays et même le Dr Yuzo Kawaji en passant. Un pugilat en règle : une beigne, un coup de pied, un ramponneau, une torgnole, je t'attrape par la queue, une mandale, quelques étranglements et même une séance de rodéo avec Frankenstein sur le dos de Baragon qui ne baragouine rien. (Ok c'est nul, je sors.) Et nos amis japonais sont tous là : en costard, robe d'été et chapeau, rigolards. Pourtant ça cogne dur comme dans un match de catch de la WWE ! Et bien entendu… nos touristes bridés font des photos ! Et alors ? La tour Eiffel ou Frankenstein, ça fait toujours des souvenirs. Bref, j'accélère, Baragon finira disloqué au fond d'une crevasse. Out ! Mais ça ne s'achève pas aussi simplement, il devait manquer quelques minutes ma parole…
Surgit en pleine montagne une pieuvre géante made in Ed Wood. Pardon ? Un céphalopode de 30 m de diamètre en altitude ça vous choque ? Un jour en Savoie avec Vincent et quelques vins chauds dans le buffet, on a vu un calamar géant faire du SnowBoard… Nouveau combat et les deux créatures tombent… dans la mer ou un lac qui, coup de bol, est au pied de la montagne !? Morts ? Une pieuvre par définition se noie rarement et Frankenstein est immortel. J'en entends qui chipotent, déçus, privés d'un dénouement philosophiquement déterministe comme chez Bergman… Désolé, il n'y aura pas de Frankenstein vs Baragon le retour.

J'avais pris des notes vocales avec mon smartphone. En réécoutant, j'ai eu le fou rire car je m’aperçois que je n'ai pas repris le quart de mes commentaires sarcastiques. J'applaudis mes chers lecteurs qui ont eu le courage d'arriver jusqu'ici… Pourquoi cet article sur cette antiquité (pour éviter le vachard mot "daube"), pour le plaisir d'écrire et de délirer à mon tour ? Oui, tout simplement.
Comme témoignage du patrimoine des kaijū eiga, voici un must survolté grâce à la surenchère. (Vu sur ciné FX, a priori pas de DVD, sauf sous titré en italien.)


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