vendredi 27 avril 2018

LA COLLINE DES HOMMES PERDUS de Sidney Lumet (1965) par Luc B.


LA COLLINE DES HOMMES PERDUS est sans doute un des films les plus méconnus de Sidney Lumet, dont on ne retient généralement que les réalisations des années 70, à l’exception de 12 HOMMES EN COLÈRE (son premier en 1957). Si on veut apprendre la grammaire du cinéma, Sidney Lumet est un professeur de choix. Tout y passe, de la valeur des plans (compétence acquise après des années de réalisations télé), aux axes, au montage, Lumet utilise tout ce qu’une caméra est possible de faire. Déjà, le premier plan : gros plan sur un type qui grimpe un monticule de terre, en plein soleil, s’effondre de fatigue. La caméra recule en travelling arrière, à la grue, jusqu’à cadrer l’ensemble de tout une prison à ciel ouvert. Dont on ne sortira plus pendant deux heures.  

C’est une prison militaire, dans le désert de Libye, pour soldats anglais condamnés pour désertion, lâcheté, bagarre, vol. Au milieu de la cour, trône la colline ("The Hill" titre original) que les prisonniers doivent franchir aller-retour, sous le cagnard, et si possible avec un bardât de 25 kilos sur les épaules. Lorsque les cinq nouveaux taulards qui arrivent sur les lieux sont contraints d’escalader la colline, Sidney Lumet utilise encore le plan séquence, c’est-à-dire, le temps réel. Et c’est long… surtout pour les comédiens !

Le camp est dirigé par l’adjudant Bert Wilson, secondé par un sergent sadique, Williams. Une vraie salope. J’ai toujours aimé les films de prisons. Des trucs comme LUKE LA MAIN FROIDE (Martin Ritt, 1966), LE PONT DE LA RIVIERE KWAI, FURYO, BRUBAKER, L'EVADE D'ALCATRAZ… Même avec un Stallone ou un Van Damme, je prends ! Ce qui m'agace le plus au monde (juste après les pop-corn qui font cronch et les canettes psshit dans les salles de cinéma) c’est l’autorité bestiale, inutile, gratuite, la démonstration de force. Arrfff, j’aurais aimé être un Philip Marlowe, détective insolent, qui défie tout ce qui touche à l’autorité. Bon, on arrête la psychanalyse, on cause du film !  

Autre plan très long (Lumet filme très souvent caméra à l’épaule) l’arrivée des cinq prisonniers. Revue de package et séance d’humiliation (notamment pour le soldat noir, moqué, insulté, traité de singe). Et il y a Joe Roberts, coupable de désertion, de lâcheté, joué par Sean Connery. Il y a beaucoup de couples acteur / metteur en scène, Redford/Pollack, De Niro/Scorsese, Noiret/Tavernier, Huppert/Chabrol, Michel Vocoret/Max Pécas, et j'en passe. Mais il y a aussi Sean Connery et Sidney Lumet (5 films en commun). Un acteur prisonnier de son rôle de James Bond, mais qui vaut beaucoup mieux que ça.

Les cinq prisonniers ont droit à toutes les brimades possibles, comme la mise à sac systématique de la piaule. On a tous connu ça, à l’armée (ce joli concept républicain) l'adjudant qui semble avoir une revanche à prendre sur sa vie de merde en faisant chier les autres, au prétexte d'un galon à l'épaulette (allez Paulette...).

Parmi les prisonniers, il y a George Stevens. Dès le début, il nous parle de sa femme, mais le sergent Williams le prend pour un homo. Et ce thème de l’homosexualité est latent dans ce film. Aux visites médicales, le capitaine médecin ne semble s’intéresser qu’à une chose : défroquer les prisonniers. Et ce, devant le chef Bert Wilson. Voir son regard quand Roberts baisse son slip… Mais le premier à y avoir droit est Jacko King, le noir, et toutes les plaisanteries possibles sur sa virile anatomie sont de la fête. Le sergent Williams aurait semble-t-il une attirance particulière pour les longues matraques, surtout quand les prisonniers prennent leur douche...

Ce film est une implacable attaque de l’institution militaire. On pense aux LES SENTIERS DE LA GLOIRE, dans ce que la hiérarchie à de plus incompétente, et finalement contre productive. Voir ici le commandant du camp, un pitre que l’on ne voit que lorsqu’il se reculotte après avoir tirer sa pute, une marionnette risible et pathétique quand Jacko King (scène géniale) débarque en slip dans son bureau… Les liens de pouvoir entre les personnages sont multiples. Entre prisonniers et mâtons bien sûr, mais entre les gradés eux mêmes (les deux sergents), entre le médecin militaire et les officiers (chacun reporte sur l'autre la responsabilité de ses fautes et incompétences pour sauver ses miches) et entre les cinq prisonniers. En fait, chacun cherche à sauver sa place, sa stature, sa petite autorité, qui semble n'être que ce qu'il leur reste, la dignité s'étant fait la malle depuis un moment.

Comme chez Kubrick, l'émotion prend souvent le pas sur la raison. La fin est à ce titre terrible, Joe Roberts, à qui il reste une once d'humanité et de bon sens, qui ourdit la rébellion mais ne peut endiguer la fureur animale qui se propage dans le camp. Filmé dans un superbe noir et blanc contrasté à souhait (BAFTA de la meilleure photographie, les Oscar anglais, pour Oswald Morris, qui a souvent travaillé avec John Huston, mais aussi Mankiewicz, Kubrick, Ritt, Carol Reed), au grand angle, avec amorces de premier plan, contre-plongées exacerbées, LA COLLINE DES HOMMES PERDUS est un formidable réquisitoire contre la bêtise humaine, un film sous tension, qui hurle et vocifère, où l'on croise la fine fleur des acteurs britanniques de cette époque, Ian Hendry, Ian Bannen, Michael Redgrave, Harry Andrews (on connait leurs trognes).

Un (très) grand film.

 Noir et blanc  -  2h05  -  format 1:1.85

 

1 commentaire:

  1. Jamais vu je crois bien. Mais comme j'aime bien Lumet (le type qui te fait oublier qu'il tient une caméra tellement il filme "naturel"), je note ...

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