mercredi 25 avril 2018

RAINBOW "Rising" (17/05/1976), by Bruno



     Classique des classiques devant l’Éternel. L'album de Hard-rock par excellence. Un must, un incontournable, un indispensable. Un disque qui a fait date. Un monument. Autant de qualificatifs qui pourraient paraître dithyrambiques au néophyte tant ils paraissent surannés et surtout souvent utilisés à tort et à travers. Oui, mais là, on pourrait continuer ainsi sur toute une page que l'on serait toujours dans la simple et juste constatation de la valeur de ce monument du Hard-rock. Ici, sur ce second disque de Rainbow, tout est parfait, abouti. C'est immuable. Ritchie Blackmore, non content d'avoir déjà participé à la conception de classiques, des pierres angulaires du Heavy-rock qui aujourd'hui encore sont cités comme des références ultimes, et qui continuent à inspirer tant de musiciens - du simple amateur au professionnel confirmé – pense qu'il a toujours son mot à dire dans un univers musical qu'il a contribué à créer. A une époque où la majorité des vieilles gloires du début de la décennie commencent à montrer des signes de fatigue, quand d'autres sont déjà moribondes – du moins c'est ce qu'une partie de la presse rock tente de nous faire avaler, même si ce n'est pas totalement sans fondements, et pas toujours corroboré par les nombreux d'enregistrements live de grande qualité qui commencent au même moment à éclore – l'emblématique Blackmore et sa bande réalisent un album magistral. 


     Ritchie Blackmore est un être complexe. C'est le moins que l'on puisse dire. Il peut se montrer aussi charmant que teigneux et infréquentable. Cela fait des années qu'il bourlingue. Depuis les années 60 où il a accompagné Gene Vincent et Jerry Lee Lewis (en Allemagne), le filou Screaming  Lord Sutch (lien) et Neil Christain (chanteur Anglais de Rock'n'Roll qui eut toujours du nez pour choisir ses musiciens - dont Mick Abrahams, Nicky Hopkins, Jimmy Page, Albert Lee -) et gagné sa vie en réalisant des sessions studios pour autrui avant d'être sollicité par deux jeunes gens qui souhaitaient faire fructifier leurs gains en investissement dans un groupe monté de toutes pièces. Bien leur a pris. Au début, il se montre compréhensif et conciliant. Cependant, progressivement il cherche à imposer son leadership afin de dicter sa vision. Seulement, Deep-Purple est la réunion de talentueux hommes de caractère, et même si chacun fait des efforts, les conflits d’ego, exacerbés par des années lourdement chargées (dix albums studio en seulement sept ans), ne tardent pas à plomber l'entente créatrice des débuts. Même s'il croit encore dans ce groupe, Blackmore se rend bien compte qu'il ne peut passer sa vie à se battre pour astreindre les membres à suivre ses idées. Et si au début il a été enthousiasmé par les nouvelles recrues, il n'apprécie guère qu'elles cherchent désormais à injecter plus de Funk et de la Soul. C'est la goutte qui fait déborder le vase. Plutôt que de rentrer à nouveau dans des conflits, il préfère abdiquer et partir. On peut tout de même s'étonner de ses propos si l'on se réfère aux formidables rythmiques funky qu'il a composé sur "Stormbringer". 

Peu après sa démission, il avancera aussi que les derniers temps, il avait fini par s'ennuyer dans Deep-Purple. Franchise ou effet d'annonce sous forme de provocation ? En tout cas, les premières tournées de Rainbow, malgré un répertoire forcément restreint, ne s'embarrassèrent pas avec des titres de l'ancienne gloire. Préférant même clôturer les shows avec un "Goin' Down" (de Don Nix pour Freddie King) en rappel plutôt qu'un classique - probablement espéré par le public - de Purple.
   Enfin, de toutes façons cela faisait un moment que l'idée lui trottait dans la tête, et il est vrai que la musique qu'il va offrir les années suivantes n'a que peu de rapports avec le Funk, et aucunement avec la Soul. Alors s'il veut être certain de pouvoir jouer la musique qui le fait vibrer, il n'a qu'une seule solution. Lui qui reste assez introverti, qui a parfois du mal à communiquer, encore plus à être diplomate, ne voit pas de meilleur solution que de créer son propre groupe. Où donc, il serait le leader incontesté, maître de la direction musicale et maître de son temps. Lui qui avoue sans ambages apprécier la solitude, et ne pas aimer les gens, notamment parce qu'il a du mal à leur accorder sa confiance. Malheureusement, le futur lui donnera parfois raison ; bientôt viendront les jours où le comportement et les paroles de certains qu'il devait considérer comme d'indéfectibles amis, sinon comme dignes de confiance, n'allaient pas tarder à arriver.
   A l'inverse du guitar-hero type des 70's, généralement plastronneur et bavard, lui l'uns des plus influents de cette décennie (et même de la suivante), préfère fuir les interviews (des traits de caractères pourtant difficilement compatible avec une carrière médiatique). 


   Néanmoins, même si sa décision est prise, il ne quitte pas le groupe qui l'a rendu à jamais célèbre. D'abord pour ne pas laisser dans le pétrin ses anciens compagnons de route, même si des menaces sont proférées, mais aussi parce qu'il faut qu'il trouve 
un groupe à sa mesure. Pour ne pas quitter la proie pour l'ombre. Probablement par simplification, il ne s'embarrasse pas et recrute carrément dans on intégralité un groupe déjà formé et expérimenté ; seul le guitariste reste sur le carreau. C'est un petit groupe américain de Heavy-boogie-rock nommé Elfqui galère depuis quelques années. Il le connait bien puisque cela fait déjà quelques années que ce combo américain effectue régulièrement les premières parties du Pourpre Profond. Roger Glover et Ian Paice ont même produit leur premier album, et Glover a renoué l'expérience, seul, pour les deux suivants.
Blackmore a tissé des liens avec le chanteur, Ronnie James Dio. Les deux hommes se rejoignent musicalement mais aussi par leur attrait commun pour le Moyen-âge, les légendes et les mythes. 

   L'homme en noir ayant anticipé son départ, avait déjà accumulé du matos sous le bras (qu'il s'était bien gardé de partager ; mais aurait-il été accepté ?), permettant une réalisation et une édition assez rapide d'un premier album ; la même année que la création du groupe. Et vu sa réputation, il n'eut aucun souci pour obtenir un contrat d'enregistrement. Un premier essai modestement baptisé "Ritchie Blackmore's Rainbow" qui est loin de déplacer les montagnes et fait bien triste mine en comparaison des sept précédents disques de Deep-Purple. Cependant, le psychopathe de la Stratocaster est en pleine effervescence. Il ne se perd pas en conjectures et à peine le disque est-il sorti qu'il procède à une refonte du groupe en ne gardant que le chanteur, pour lui seul réel attrait du défunt Elf
D'après de nombreux journalistes de la presse musicale, Blackmore n'aurait engagé Elf que dans le seul but de prendre Dio dans ses griffes. 

     Là, c'est le départ des choses sérieuses. Il recrute des musiciens d'envergures à commencer par Cozy Powell , premier arrivé (avant même les ruptures sans préavis de CDD) et rencontré lors d'une séance de spiritisme (science occulte que l'irascible guitariste a souvent pratiqué dans les années 70). Un batteur qui a gagné ses titres de noblesses avec sa participation au Jeff Beck Group, deuxième du nom, auteur de deux galettes magistrales (en 1971 et 1972). Puis de deux inconnus de talent. Le Californien Tony Carey aux claviers, débauché de Blessings, qui, malgré son indéniable talent de musicien, chanteur et compositeur, restera dans l'ombre en dépit d'une longue carrière en solo (dont quelques avec projets avec Jürgen Blackmore, le propre fils de Ritchie). Et l’Écossais Jimmy Bain à la basse, qui se distinguera aussi plus tard avec Wild Horses fondé avec son compatriote Brian Robertson (lien), avec Phil Lynott, Gary Moore, et  plus particulièrement avec ... Dio (le groupe) dont il fut le musicien ayant cumulé le plus d'ancienneté au sein de la formation du chanteur.
 
de G à D : C. Powell, J. Bain, R.J. Dio, T. Carey, et R. Blackmore.

   Blackmore
et sa nouvelle bande ne perdent pas de temps et rentrent en studio - au Musicland Studios de Munich - en février 1976, avec à ses côté son ami Martin Birch, et le 16 mai 1976, "Rising" fait une apparition remarqué dans les bacs des disquaires.

L'amorce peut paraître pompeuse avec cette longue introduction de Tony Carey qui a dû inquiéter les premiers auditeurs, craignant que la troupe n'ait plongé dans un Rock-progressif contemplatif et onirique. En fait, cela pourrait être l'aube qui précède l'éclat de l'astre (la Stratocaster de Blackmore), et l'exposition à la vue de tous de l'arc-en-ciel en son entier (le groupe). Après l'arrivée de la bande, le synthé froid, mi vaporeux mi spongieux, se place légèrement en retrait, derrière le despote, et procure une sombre aura mystique. Si "Tarot Woman" ne représente pas la pièce maîtresse, elle impose d'entrée un nouveau style qui va rapidement générer moult émules. Bien que le son et la tonalité demeurent ancrés dans le Heavy-rock, ce morceau fournit déjà les matériaux d'un Heavy-metal épique nourri d'influences classiques au détriment de la syntaxe Blues qui avait servit de matière première au Hard-rock. De son propre aveu, Blackmore pioche allègrement dans les œuvres de Johann Sebastian Bach pour construire ses soli et improviser. Quant à Dio, il impose un chant autoritaire et hargneux, paraissant émerger du fond des âges. D'un monde oublié où des hérauts côtoyaient elfes, fées, animaux fabuleux, démons, sorciers et autres enchanteresses. Un style de chant encore timide sur le premier opus, mais qui prend désormais toute sa dimension. "Run With the Wolf" confirme cette nouvelle approche, franchissant même un nouveau palier en puissance, tout en prenant soin de préserver la définition des instruments et l'élocution du chanteur. Rien de brouillon.


   Par contre, "Starstruck" fait un peu machine arrière et revient dans le giron de Deep-Purple. Logique. Le solo en slide rappelle que Blackmore est aussi un bon élève du bottleneck qui l'utilise non pour quelques dérapantes et métalliques prouesses mais pour créer de juteux chorus, un chouia langoureux, tout en feeling. L'humeur de cette chanson alterne entre climats bourrus et machos, et romantiques un rien lascifs. Des climats inspirés  par le sujet de la chanson. Celui d'une fan transie (Murielle) qui avait suivit Blackmore jusqu'à aller se cacher dans les buissons de sa maison pour l'épier. L'infortunée, qui avait fini par taper sur les nerfs du ténébreux guitariste, 
jusqu'à l'inquiéter, joua de malchance le jour où agglutinée au plus près de la scène, au plus près de son idole, elle reçue de plein fouet le manche de la Strato de Ritchie, projeté par le choc qui brisa l'instrument lors d'une démonstration en règle de destruction de pelle. Assommée nette. "Straight between the eyes" ?

  "Do You Close Your Eyes" est indéniablement la pièce la plus commune de l'album. Un morceau de Hard-rock pur et dur, compact, avec frappe de bûcheron ad-hoc que beaucoup de groupe auraient payé cher pour l'avoir à leur répertoire, malgré des paroles d'une grande platitude et bien machistes. Cependant, ici, il est étouffé par des morceaux de très haute-tenue. 
 

   "Rising" est un bloc. Un disque qui s'écoute d'une traite, du début à la fin. 
C'est de cette manière qu'il prend toute sa dimension avec sa lente progression en intensité et en puissance. L'apothéose étant à l'origine représentée par la deuxième face regroupant seulement deux morceaux de plus de huit minutes. Une fois n'est pas coutume, mais le format CD, avec donc l'enchaînement des six titres, est un gain favorisant cette sensation de crescendo.
   D'abord avec "Stargazer" qui feinte avec l'avalanche de roulements de Powell et stoppée nette par un brusque rallentando sur riff mi-lourd, proche du Black Sabbath de "Sabotage". Mais déjà, dès le troisième mouvement, le chant devient implorant et plus lyrique. Les claviers miment une chorale d’entités cagoulées vouées aux Grands Anciens, rapidement et discrètement soutenus par un orchestre symphonique. Enfin, les deux s'associent. Le chant conte avec emphase et passion les interrogations d'un esclave qui doit suivre dans la souffrance les volontés d'une entité supérieure - démon ou simple sorcier - tout en gardant l'espoir que, peut-être un jour, grâce à son obéissance et aux prix de sacrifices, il accédera à des temps meilleurs. Au moins, retrouver la liberté, et de pouvoir enfin retourner chez soi. Mais le doute persiste : n'aurait-il pas été trompé ? Une ombre luciférienne plane. On peut aussi prendre la chanson comme une métaphore sur la soif de pouvoir, l'ambition qui force mensonges et tromperies afin d'exploiter les hommes, les considérant comme de simples supports interchangeables pour accéder au but convoité. Il y a aussi un rapprochement avec la Tour de Babel. Les interprétations sont multiples et auraient pu aisément donner de l'eau au moulin des grenouilles de bénitiers. Après un solo, torturé au vibrato produisant des images orientales et cabalistiques, comme seul l'homme-en-noir en détient les arcanes, le groupe transcendé reprend à partir du second mouvement avec un surcroît d'exaltation. Avec notamment un Powell qui martèle ses fûts tel un orque maître-forgeron et un Dio enflammé. La guitare s'efface quelque peu au profit de violons (l'orchestre philharmonique de Munich) qui s'efforcent de tempérer les (h)ardeurs. 

Dio, Martin Birch et Blackmore

   Pas de quartier, ni de répit, "A Light in the Black" est une charge héroïque. C'est l'Eoherë du Rohan à la Bataille des Champs du Celebrant, un assaut de Valkyries fendant de sombres nuages pour s’abattre impitoyablement sur un champ de bataille. Cozy Powell est lâché, c'est un fou-furieux (un de ceux échappés de l'imaginaire du "Cabal" de Clive Baker). Dans les grandes lignes, cette pièce épique, suit le chemin taillé par la chanson "Fireball" (de l'album du même nom) ; véritable précurseur en matière de Heavy-metal, tant au niveau du chant hargneux et agressif qu'au niveau du jeu de batterie particulièrement soutenu et up qui va ouvrir la voie à des énergumènes tels que Philip John Taylor.

Les paroles peuvent s'inscrire comme une suite de "Stargazer". L'orateur, libéré de ses chaînes, peut enfin rentrer chez lui et revoir un être cher dont le souvenir commence à s'estomper. La position d'esclave fut si longue que l'on craint désormais la liberté. (Comme pour certains, le départ à la retraite). Il y a une lumière dans le noir, mais suis-je prêt à affronter l'inconnu ? On ne sait pas si la lumière représente le retour au foyer tant espéré où s'il s'agit d'un accès à une autre dimension, ou d'un état de conscience, que l'on n'ose finalement pas affronter, préférant alors retourner dans un lieu connu et rassurant. Possible aussi que l'orateur soit décédé. Fantôme croyant faire encore partie du monde des vivants et néanmoins attiré par cette lumière, celle de l'au-delà, de l'après-vie, comme une vaste étoile dans la nuit. 

     Le disque est court : seulement 33 minutes et des poussières. Mais quelle intensité ! On en ressort exsangue. 
     La réalisation la plus dure et agressive de Rainbow, peut-être la seule assimilable au Heavy-Metal (certaines pièces sont même parfois considérées comme du pré-Speed-Metal), et indéniablement une des meilleures du groupe. L’acariâtre et pas moins fabuleux Ritchie Blackmore devait bien être fier de son coup.

  • Face 1
  1. Tarot Woman    –    5:58
  2. Run With the Wolf    –    3:48
  3. Starstruck    –    4:06
  4. Do You Close Your Eyes    –    2:58
  • Face 2
  1. Stargazer    –    8:26
  2. A Light in the Black    –    8:12





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