mercredi 1 mai 2024

BLACK SABBATH " The Eternal Idol " (1987), by Bruno


     Tony Iommi est dans la panade. Depuis le départ de Ronnie James Dio, rien ne va plus. Pourtant, ce n'est pas faute d'avoir relevé ses manches, d'avoir pris le taureau (infernal) par les cornes. Mais, visiblement, dans les années 80, tout ce qu'il entreprend semble voué à l'échec.

     En 1983, il fonde de grands espoirs sur sa collaboration avec Ian Gillan qui déjà fait couler beaucoup d'encre avant la moindre prestation (et qui aurait déjà fait couler beaucoup de boissons alcoolisées le soir où Tony, Geezer et Ian se rencontrent dans un pub pour parler affaires - le gérant aurait dû les mettre dehors et Ian avoue ne se souvenir de rien...). Hélas, la déception est brutale. « Born Again » - doté au passage de l'une des pochettes les plus laides du groupe (qui en a déjà pas mal à son actif ) imposée par le manager Don Arden - a des allures de fruit pourri. La production, indigne d'un groupe de cette envergure (Gillan dira qu'il vomit en voyant la pochette, puis de nouveau en écoutant le disque), entre la tronçonneuse et une rame de métro, ne fait qu'enfoncer un peu plus dans la boue certains morceaux qui manquent déjà de tomber dans la caricature. En partie par la faute d'un Gillan qui en fait des tonnes. Quant à la scène, c'est également le début d'une longue traversée du désert. Bien que les premiers concerts avec Gillan enthousiasment même les plus sceptiques, et notamment tous ceux refroidis par l'album, ça devient rapidement un calvaire. Bill Ward plonge à nouveau dans un profond alcoolisme, ce qui rend son remplacement impératif et pressant. Point de départ d'une valse de batteurs qui va grever le groupe pendant une quinzaine d'années. Tandis que Gillan oublie les paroles des chansons du Sab', compensant par des cris intempestifs (il aurait même séché sur "Smoke on the Water"). Finalement, Gillan se casse pour participer à la reformation du Mark II (il avouera plus tard qu'il n'était pas taillé pour ce registre) [1]. Puis, c'est au tour de Geezer Bulter de tirer sa révérence.


   Désormais seul à bord, c'est l'occasion pour Iommi de s’atteler à la confection d'un album solo. Il souhaite inviter un chanteur différent à chaque chanson. Pour le premier essai, il invite une vieille connaissance (1), Glenn Hughes. Le résultat est si probant, que Iommi décide d'enregistrer l'intégralité de l'album avec lui (sur la liste initiale, il y aurait eu Robert Plant et Coverdale, tous deux alors indisponibles). Ragaillardi par la tournure que prend son album solo, le guitariste moustachu croit apercevoir le bout du tunnel. Ses vieux compagnons de route l'ont lâché ? Qu'importe, il va prendre sa revanche avec un formidable album solo. Cependant, le management, et en particulier Don Arden -le père de Sharon Osbourne -, n'en a strictement rien à faire d'un album solo. Ce qu'il veut, c'est un album de Black Sabbath. Et ce sera un album de Black Sabbath (!). 

     « Seventh Star » devient donc le douzième album du Sabbat Noir, et le premier avec un seul membre d'origine. Et aussi le premier avec, enfin, le claviériste Geoff Nicholls, officiellement intégré au groupe. C'est une réussite, même si les avis sont partagés. Certains critiques lui reprochant de lorgner vers le Hard-FM (??). Les mêmes qui ont reproché au précédent d'être trop brutal ? Paradoxalement, ce sont généralement les « gros » médias qui lui font une mauvaise presse, au contraire des revues plus spécialisées. Certains focalisant sur l' appropriation du patronyme « Black Sabbath » par Iommi, qu'ils jugent injuste., estimant qu'il n'y a pas suffisamment de membres d'origine au m² pour justifier l'appellation "Black Sabbath". On va même traiter Iommi de despote, alors que s'il peut indéniablement se montrer autoritaire (jusqu'à montrer les dents), c'est bien dans un travail de composition communautaire qu'il se révèle généralement le meilleur. Malheureusement, si Hughes est quasi impérial sur l'album, sur scène il est lamentable (un responsable du staff des tournées, excédé par son manque de professionnalisme, finit par craquer et lui envoie un beau crochet dans la face, lui ouvrant une arcade sourcilière). Dans ces conditions désastreuses, il n'y aurait eu que trois ou cinq concerts (les versions quantitatives diffèrent) effectués avec Hughes.

     Dans l'urgence, le bassiste Dave Spitz (présenté à Iommi par Lita Ford, avant qu'elle ne lui claque la porte au nez, considérant que son amant est bien plus intéressé par son album solo que par elle) appelle un copain de New-York pour effectuer le remplacement au pied-levé. Ray Gillen, appelé à la rescousse, n'a guère le temps de se préparer et les prestations scéniques en pâtissent. Ce qui ne fait que renforcer la déconvenue d'un public qui s'attendait à retrouver Glenn Hughes. De plus, certains soupçonnent que la famille Osbourne - et en particulier Sharon - essaie de tout faire pour saboter sa tournée aux USA. C'est qu'une vilaine rivalité s'est installée entre Don Arden et sa fille. Depuis quelques années, cette dernière a décidé de se rebeller, refusant de suivre toutes les directives de son père. Papa Arden, courroucé, aurait même lancé ses chiens sur sa propre fille en visite, et enceinte. Charmante famille...

     Les finances s'amenuisent. Le manager, Don Arden (encore lui), a des problèmes avec le fisc et son avocat demande à Iommi un peu d'aide financière pour assurer les frais de justice. Bonne poire, on parle d'un prêt d'environ 50000 £ qu'il ne reverra jamais (un bien beau pactole pour l'époque). Désemparé, le Brummy se retourne vers l'ancien manager, Patrick Meehan, celui-là même qui s'était fait lourder pour avoir détourner à son profit, une partie des revenus du Sab' (on parle de plusieurs centaines de milliers de livres sterling). 

     Malgré tout, Iommi, Nicholls et Ray Gillen rentrent en studio pour un nouvel album. Les séances se passent mal, entraînant le départ de Jeff Glixman, pourtant responsable du précédent. Dave Spitz ayant plus la tête dans les jupons de sa fiancée (restée à New-York) et Gillen ne s'investissant guère dans les paroles, on fait appel à Bob Daisley. Depuis sa collaboration avec Ozzy, l'Australien est autant connu pour ses talents de musicien que de compositeur et de parolier. Ainsi, en plus de jouer sur toutes les parties de basse, Daisley, en collaboration avec le discret Nicholls, signe toutes les paroles. Bien que crédité et ayant effectivement officié aux premiers sessions, Spitz n'est plus présent sur le produit fini ; toutes ses parties ont été refaites par Daisley. Après un second changement de producteur, Chris Tsangarides (l'un des producteurs les plus courus dans le milieu du Heavy-metal et du Hard-rock des années 80) finissant la tâche, la confection de l'album arrive à sa fin quand Gillen se barre. 

     Echaudé, Iommi ne veut pas renouveler l'expérience de partir en tournée avec un nouveau chanteur, qui n'aurait pas été présent sur aucun des disques de Sabbath. Et donc illégitime pour une frange conservatrice du public. C'est là qu'intervient Tony Martin. Un Brummy, pareil aux sabbathiens d'origine. Le nouveau venu enregistre donc toutes les parties vocales, en devant se caler autant que possible sur les lignes de chant de Gillen. Un album fait dans la douleur. Probablement le plus pénible à réaliser pour Iommi. Jusqu'à la pochette où il reçoit un refus catégorique des ayants droits du sculpteur Auguste Rodin, d'utiliser "L'Idole éternelle" (1899) pour illustrer la pochette du disque. Iommi se replie sur deux jeunes mannequins, peints de la tête aux pieds, prenant une pose similaire à l'illustre œuvre. Apparemment, aucun des participants et instigateurs ne savaient que la peau doit aussi respirer - personne n'avait même vu "Goldfinger" où, parce qu'elle est intégralement recouverte d'une peinture d'or, une jeune femme meurt par asphyxie -, et en conséquence, les deux jeunes gens, tombés malades, sont hospitalisés d'urgence.

     Malgré tout, ce treizième album finit par atterrir dans les bacs. Hélas, il ne reçoit pas un bon accueil de la presse. L'Anglaise ne l'épargne pas et détruit le pauvre Tony Martin en le traitant de "sous-Dio". S'il est indéniable qu'il y a des similitudes surgissant de part et d'autre, il serait stupide de focaliser sur cet élément. D'autan que Martin (Anthony Martin Hardfold), possède suffisamment de beaux atouts vocaux pour rivaliser avec des mentors du genre. Et c'est bien un chanteur, et non un hurleur névrosé aux esgourdes encombrées. 

     On va aussi reprocher au disque de s'être trop écarté du style qui avait fait sa notoriété la décennie précédente. Drôle d'époque où on encense rapidement, avec emphase, des disques caricaturaux et bancals, sans réel relief, au feeling parfois aussi pauvre que la production. Et où, a contrario, on s'applique à démolir consciencieusement tout ce qui peut être affilié à l'ancienne garde (avec quelques exceptions).  


   Pourtant, "Eternal Idol" a aisément passé les ans. Sans prétendre être un classique du groupe emblématique, il demeure un (très) bon disque de heavy-metal. Du genre qui, malgré sa soumission à la gloire de la lourdeur et de la grosse saturation, ne grille pas les conduits auditifs ; du genre exempt de chanteur qui s'obstine à brailler comme une banshee
la peau coincée dans la braguette, hurlant de douleur. Un album peut être charnière, qui remet le pied à l'étrier dans le Sabbath d'antan, celui de "Sabbath Bloody Sabbath" et celui de "Heaven and Hell" (oui, avec Dio), le tout imprégné par le poids du mésestimé et pourtant brillant "Seventh Star". Omis de toutes les playlists dédiées à l'année 1987 (sauf celles de l'époque concernée), "Eternal Idol" semble avoir bien mieux vieilli que tant d'autres disques de cette cuvée (métalliques) portés aux nues.

     Toutefois, s'il y a un reproche notable à lui faire, c'est la batterie d'Eric Singer, dépourvue de définition, qui résonne souvent ici plus comme une dégringolade de caissons qu'autre chose. Les cymbales sont noyées dans le mixage ou carrément absentes. Le swing de Bill Ward fait cruellement défaut. Néanmoins, il y a un certain souffle épique qui émane de ce disque. Un souffle libéré dès la première salve avec l'entêtant "The Shining". Magnifique pièce de heavy-rock, relativement pesante mais tempérée,  presque lumineuse, alternant entre des arpèges saturés et des gros riff bien gras (Iommi's trademark) sur lesquels Martin tisse des filins de chants lyriques et habités. 

   La suite est nettement plus sombre avec le théâtrale "Ancient Warrior", nimbé de sulfureuses réminiscences orientales et proche d'une incantation invitant de sombres entités lovecraftiennes. Ou le bien nommé "Nightmare", un morceau de 1984 sorti du placard, composé à l'origine pour faire partie du nouveau film de Wes Craven : "A Nightmare on Elm Street" ("Les Griffes de la Nuit"). Ce morceau évolue comme un lourd golem éclopé et revêche, passant sa frustration de n'être qu'une imitation, dans la colère et le crime. Toutefois, tout comme un golem, le morceau rame, ne parvient pas à s'extraire de la terre, à prendre son envol. Au contraire du morceau éponyme, enfant légitime de "Black Sabbath" (la chanson). Inquiétant, empestant le souffre et la nuit froide et humide, la déviance de démoniaques cérémonies où l'officiant est déchiré entre une perverse extase et une terreur confinant à la folie.

   Mais c'est bien des morceaux plus vigoureux, un tantinet épiques, qui sont en force. Même si la SG de Iommi est toujours aussi boueuse et assez pachydermique, le vif "Hard Life to Love" ferait presque concurrence aux groupes du Sunset Strip sur leur propre terrain (mais sans fanfreluches, Spandex et brushing), tandis que "Glory Ride" hésite à franchir le pas pour épouser un Heavy d'obédience FM. Il aurait suffit pour cela, de modérer la frappe de Singer (sans aucune nuance sur ce morceau, il se contente de frapper comme un sourd) et supprimer la Fuzz gargantuesque de Iommi.

"Born to Lose" (inspiré par toutes les embûches des dernières années ?) et encore plus "Lost Forever" décollent les tapisseries. Ce dernier marchant crânement sur les plates bandes de Judas Priest, histoire de lui rappeler qui est le patron.

     Finalement, l'album se vend encore moins bien que le précédent. Le Black Sabbath millésimé 87 perd une bonne partie de son public d'outre-Atlantique et même à la maison, en Angleterre, où la presse a été particulièrement acerbe. Au contraire du reste de l'Europe, où son public ne cesse pas de grossir. Ce qui va permettre à Tony Iommi, et donc Black Sabbath, de persévérer et de survivre. Même si lui-même et ses nouveaux compagnons de route ne sont pas encore tirés d'affaires... 

[1] Des années plus tard, Gillan et Iommi retentent l'expérience, avec l'aide de Nicko McBrain, de Jason Newsted et de Jon Lord, pour un simple Ep : "Who Cares". Bien plus naturel, Gillan y chante sans forcer. Les morceaux n'en sont que meilleurs et font regretter qu'il n'y ait pas eu de rab. 




🎶🎃

Autres articles / Black Sabbath :  👉   "Seventh Star" (1986)  👉 " Sabbath Bloody Sabbath " (1973)
Pour en savoir un peu plus sur Ray Gillen : 👉 " Ray Gillen story" 1ère partie  👉 " Ray Gillen story " 2sde partie

mardi 30 avril 2024

FRANÇOIS BERANGER - «Joue pas avec mes nerfs» (1979) par Pat Slade


Il y a déjà longtemps que je voulais parler de François Béranger, un chanteur hors du commun, son succès ne viendra d'une certaine catégorie de fans.




UN LIBERTAIRE DANS L’ÂME

Né en 1937 d’un père tourneur et militant syndicaliste qui, pendant la guerre, après l'armistice et la démobilisation, dirigera un centre de jeunesse et participera activement à la Résistance. A la Libération il sera élu député à l’Assemblée Nationale

François Béranger est considéré aux yeux de beaucoup comme un clone de Félix Leclerc franchouillard, alors qu’il est beaucoup plus que ça. Ses textes sont poétiques, très revanchards voire  libertaires. Il abandonnera ses études à 16 ans pour entrer dans le monde du travail et fera ses premières armes chez Renault à Boulogne-Billancourt, usine mythique qu’il quittera une année plus tard pour s’engager dans une troupe de théâtre amateur itinérante pendant quatre ans. Après avoir été appelé pendant la guerre d’Algérie, il travaillera à l’O.R.T.F comme régisseur et réalisateur avant de se lancer dans la chanson. Il se fait connaître au début des années 1970 lors du renouveau de la chanson française imprégnée de folk, portée par des thèmes contestataires. Une époque ou la chanson française était porteuse de poésie militante avec Catherine Ribeiro, Mama Béa ou Joan-Pau Verdier.    

François Béranger chantait, disons... pour certaines de ses chansons, un Renaud avant l’heure mais on peut aussi y retrouver une inspiration venue de Thiéfaine ou Couture par son coté rock et de Léo Ferré ou Henri Tachan par son coté engagé comme dans ”Allemagne sœur blafarde“ sur l’album ”Da Capo“. Certaines de ses chansons comme ”Tranche de Vie“, ”L’alternative“ ou ”Participe Présent“ vont le conduite à être catalogué dans le registre des voix militantes de cette époque. Il participe à la musique du film ”L’An 01“ de Gébé et Jacques Doillon, un film qui narre un abandon utopique, consensuel et festif de l’économie de marché et du productivisme, un film ou apparaissait la plupart de l’équipe de Charlie Hebdo (Choron, Cavanna, Cabu) mais aussi de jeunes acteur(trice)s débutant(e)s comme Daniel Auteuil, Josiane Balasko, Christian Clavier, Coluche et d’autres personnalités de tout bord comme Gotlib, Patrice leconte, Stan Lee ou des musiciens comme  Jacques Higelin et Béranger lui-même qui fera une apparition.

"Tranche de vie"
50 ans de carrière, douze albums et toujours la même question :”Lequel prendre ?“ Le premier ”Tranche de Vie“ ? Le plus militant ”L’alternative“ ? Le dernier ”Dure-mère“ ? Je jetterai mon dévolue sur ”Joue pas avec mes nerfs“ , ”Joue pas avec mes nerfs“ avec ses ballades longues et nostalgiques comme ”Chanson Marrantes“, sa biguine anticolonialiste ”Mamadou m’a dit“, l’anti-flic ”Je ne veux plus le savoir“, le très rock et toujours aussi engagé ”Joue pas avec mes nerfs“, la jolie et triste chanson a la façon d’un Aristide Bruant en voix-piano ”Pour ma grand-mère“. L’autobiographique et rock avec un superbe solo de guitare en final ”Tout ces milliers de kilomètres“, ”A force” la sœur jumelle de ”Je ne veux plus le savoir“ pars son rejet de l’autorité policière.    

François nous quittera en aout 2003 à 66 ans (trop tôt) mais il ne sera pas oublié, une compilation hommage sera enregistré en 2007 avec des reprises chanté par Tryo, Thiéfaine, Yves Jamait, Jeanne Cherhal, Sanseverino et beaucoup d’autres.


François Béranger, un chanteur atypique comme on en trouvera plus. Pour apprendre à connaitre son univers et rentrer dans son monde, ”Joue pas avec mes nerfs“ est l’album parfait.


- Ah, j'avais prévu trois titres mais c'est le vieux Toon qui relit ma prose et place les vidéos… Faut le faire en code HTML, pas trop mon truc… Ben du coup il a mis une playlist de l'album dispo sur YouTube… 7 titres…

- Merci mon p'ti Pat de signaler mon humble participation quoique la formulation "le vieux Toon"... sniff ! 😉

lundi 29 avril 2024

KENTUKIS de Samanta SCHWEBLIN, 2018 (2021 en français) - par Nema M.


Alors que Nema est tranquillement affalée sur le canapé en train de bouquiner, tout à coup Sonia attrape Patouilloux, le chat blanc de Madame Portillon, ouvre la fenêtre et le jette dans le jardin. Nema sursaute :

- Ça va pas Sonia ? qu’est-ce qu’il t’a fait Patouilloux ?

- J’en ai marre, je suis sûre qu’il m’espionne et après il raconte tout à Madame Portillon, tout ce que je fais, tout ce que je regarde sur internet et même ce voyou regarde quand je m’habille dans ma chambre !

- D’abord tu n’as pas besoin de le laisser aller partout dans notre appartement. C’est toi qui l’incites à entrer dans ta chambre pour dormir avec toi quand il fait froid. Ensuite, ce n’est pas un Kentuki.

- Un quoi ???


Ceci n'est pas un Kentuki 💜
Ceci n'est pas un Kentuki 💜
Ceci n'est pas un Kentuki 💜
Ceci n'est pas un Kentuki 💜

Mais qu’est-ce donc qu’un Kentuki ?

Si vous avez des enfants en bas âge, vous savez qu’il existe des peluches connectées. Et peut-être avez-vous lu quelques articles parus en 2016-2017 sur les dangers de certains oursons connectés via Wi-Fi ou Bluetooth qui n’offrent pas de sécurité vis-à-vis du piratage de données personnelles. Plus exactement ce sont les applications qui servent à piloter ces peluches qui peuvent présenter des failles de sécurité et ne respectent pas toujours la loi sur la protection des données à caractère personnel.

Un Kentuki est une peluche. Imaginez une belle peluche, disons d’environ 40cm de haut en moyenne, avec de grands yeux qui peuvent s’ouvrir et se fermer et trois roulettes en dessous qui vont lui permettre de se déplacer. Il en existe de nombreux modèles : lapin, chat, corbeau, dragon, taupe… Tout un bestiaire d’adorables petites créatures qui font envie et qui présentent cet aspect mignon des jouets pour enfants, mais qui sont en fait bien autre chose. Voilà pour la partie physique externe et esthétique des Kentukis. Qu’il est tentant d’acheter une pareille merveille ! Environ 210 $ pièce. 

 

Derrière les yeux du Kentuki se dissimule une caméra et dans cette fourrure soyeuse se trouve quelque part un microphone capable de capter tous les sons environnants. La bestiole, qui peut donc capter des images et des sons, et qui dispose également d’un petit moteur pour se déplacer, est reliée via internet à une application accessible par un détenteur de droits. Il suffit d’acheter une carte de connexion avec code unique pour devenir en quelque sorte « l’âme » d’un Kentuki. Qu’on ne connaît pas a priori. Je veux dire qu’on ne sait pas de quel animal il s’agit et encore moins qui a acheté la peluche 😬😮. Après avoir installé l’application et tapé ce code de connexion, on peut voir, entendre et faire se mouvoir la bestiole via son ordinateur car on sera connecté à elle, à son petit moteur à sa caméra et à son capteur de sons. Mmmm, ça a l’air sympa d’acheter une carte de connexion pour voir, entendre et se mouvoir chez la personne qui a acheté un Kentuki. C’est la grosse surprise comme on ne sait pas de quel type de peluche il s’agit, ni qui est l’acheteur ?  

 

Donc côté acheteur de peluche, on déballe la merveille, on la charge sur son socle de rechargement et au bout d’un moment, miracle (si tout va bien) les yeux s’ouvrent ! Il y a quelqu’un qui a connecté le Kentuki ! C’est trop craquant, l’animal se déplace et suit son maître ou sa maîtresse dans l’appartement… Au bout d’un certain temps, c’est un peu frustrant de ne pas pouvoir communiquer avec l’engin, on sait qu’il y a quelqu’un derrière, quelqu’un qui est peut-être très loin dans un autre pays… Alors on peut essayer diverses techniques : le ouija par exemple peut donner de bons résultats mais il faut être patient, car une lettre à la fois ça prend du temps. En plaçant devant les yeux du Kentuki chéri un papier avec un numéro de portable ou une adresse mail on peut parfois avoir une prise de contact. Mais est-ce bien raisonnable ?

Emilia, dont le fils est un geek qui vit à Hong Kong, a eu comme cadeau de sa part une carte de connexion. C’est quoi ce truc. Elle suit la notice pas à pas, un cadeau de son fils c’est précieux. Installation terminée. Kentuki chargé. Emilia découvre une sorte de tableau de commande sur son écran. Elle appuie sur « Réveil » et hop ! elle voit une fenêtre qui s’ouvre et elle découvre que le Kentuki qu’elle pilote se trouve dans une cuisine. Il y a une jeune femme dans la cuisine. Elle parle au Kentuki : heureusement un traducteur automatique retranscrit les paroles car c’est de l’allemand. La jeune femme présente un emballage sur lequel on voit une lapine avec un ruban rose et elle dit « tu es une adorable lapine ! ». Comme c’est étrange. Emillia appuie sur « dormir » et les yeux se ferment. Assez pour aujourd’hui.

Alina a suivi son petit ami Sven, un jeune artiste Suédois, pour un séjour dans une villa pour artistes. Mais Mandoza lui manque. Alors elle s’achète un Kentuki corbeau. Sven trouve cela plutôt sympa, ils vont même au restaurant avec. Ils le nomment Colonel Sanders. Mais Alina s’irrite petit à petit de voir ce machin lui courir derrière. Elle l’engueule, le traite de voyeur, et va faire même bien pire…

 

Marvin enverra son Kentuki SnowDragon voir la neige. Des Kentukis tenteront des relations amicales entre eux, enfin entre leurs « pilotes » : SnowDragon et Kitty03 par exemple. Grigor, toujours côté pilote et détenteur de droits, essaiera de faire un commerce lucratif de connexions en les pré-identifiant à l’avance, c’est-à-dire en donnant un descriptif de la bestiole et de la « famille d’accueil », du genre : joli petit chat dans maison aisée en Argentine… avant de les revendre. Enzo, côté détenteur de peluche, arrêtera de s’intéresser à sa taupe quand il aura compris que cette relation n’est rien à côté du contact avec de vrais personnes….

Dans l’ensemble la relation se dégrade au fil du temps : soit on en attend trop, soit on se rend compte que c’est juste du voyeurisme malsain, soit on en a marre de ce jouet, tout simplement. Cela finit assez mal.  


Samanta Schweblin

Roman très original, construit autour de nombreux récits du vécu de ces propriétaires de Kentukis ou de connexions dans différentes parties du monde. L’autrice, Samanta Schweblin est née en Argentine en 1978. Elle obtient des prix pour des recueils de nouvelles et organise des ateliers d’écriture créative. Merci à Isabelle Gugnon pour la traduction de cet ouvrage.

 

Ayant compris ce que sont les Kentukis, Sonia ouvre la fenêtre de la cuisine et laisse revenir Patouilloux qu’elle attrape tendrement en le couvrant de petits bisous…

 

Bonne lecture avec un bon vieux nounours en peluche sur les genoux, ou un vrai chat !


Gallimard - Collection: Du Monde Entier - 272 pages


dimanche 28 avril 2024

LE BEST-OF SUR LE TRÔNE (il a osé...)

 

MARDI : le Toon a relevé le défi de résumer en quelques lignes les intrigues de la série « Game of Thrones », une gageure, mais c’était surtout pour nous parler de la bande originale, richement composée et orchestrée par Ramin Djawadipar, qui a retenu les leçons de son maître Hans Zimmer. Claude démontre exemples à l'appui, que les B.O. haut de gamme rejoignent le catalogue dit "des grandes musiques", tous les genres confondus !     

MERCREDI : après Turlough O'Carolan et Alice Coltrane en début de mois, la harpe est de nouveau à la fête, Bruno a écouté le dernier enregistrement (live) de la canadienne Loreena McKennitt qui avec « The road back home » revenait aux racines folk et celtiques de sa musique. 

JEUDI : Claude Toon voit grand. La pièce « Pelléas et Mélisandre » de Maeterlinck, tragédie mettant en scène deux jeunes amants maudits, fascina les compositeurs du postromantisme, de Debussy à Sibelius en passant par Fauré. Arnold Schoenberg, lui, écrivit une bouleversante symphonie à programme, avant d'inventer les langages modernes : dodécaphonisme et sérialisme… Mais on ne sait toujours pas qui est le père du bébé de Mélisande morte en couche 😥.


 

VENDREDI : on a vu avec Luc le premier film de Florent Bernard, dit FloBer, « Nous, les Leroy » est une sympathique comédie sur le couple, la famille, les situations souvent drôles sont joliment écrites, mais le film pêche par une mise en scène quasi inexistante, qui se hisse à peine à la hauteur d’un téléfilm lambda. 

La semaine prochaine, dès lundi, de la lecture avec Nema et la romancière Samanta Schweblin, mais aussi François Béranger qui s’invite chez Pat, Benjamin sera aux côtés du trompettiste Erik Truffaz, et Luc revisitera un classique de Murnau qui fête ses 100 ans (le film, pas son auteur…). Et Bruno bien sûr, pour sa chronique surprise !


R.I.P. Cinéaste Laurent Cantet (à gauche) 

Et puis un dernier salut au réalisateur Laurent Cantet, cinéaste exigeant, engagé, ancré dans le social, on lui devait "Ressources Humaines" qui l'a fait connaître en 2000, "L'Emploi du temps" l'année suivante sur l'affaire Romand, "Arthur Rambo" son dernier film en 2021, et bien sûr le formidable "Entre les murs", palme d'or à Cannes en 2008.  

R.I.P. Maestro Andrew Davis (à droite)

Le chef anglais Andrew Davis nous a quittés à l'âge de 80 ans d'une longue maladie… Spécialiste de la musique de son pays, Claude Toon lui avait consacré un billet pour nous faire découvrir un chef-d'œuvre, la 5ème symphonie de Ralph Vaughan Williams (Clic). Il aurait aimé nous dire adieu au son de ce pastoral "Garden of Summer" de son compatriote Frederik Delius. (Clic)


Bon dimanche.