samedi 17 octobre 2015

BRAHMS – Quintette pour piano – Maurizio POLLINI & QUARTETTO ITALIANO – Par Claude Toon



- Semaine consacrée à la musique de chambre M'sieur Claude ? Et je ne vous demande plus "aimez-vous Brahms ?" hi hi !
- Et oui Sonia, et après un premier article sur deux quintettes de la maturité : l'un pour cordes et alto et l'autre pour cordes et clarinette, voici le troisième avec piano…
- Vous aviez écrit il me semble dans une chronique que cette formation est peu utilisée par les compositeurs car difficile à maitriser…
- Je confirme mes propos que l'on trouve dans mes commentaires sur les quintettes de Fauré et de Schumann, je vais résumer tout cela dans mon texte…
- J'aime beaucoup ce mélange de force et de poésie, une musique très contrastée…
- Vous définissez très bien le monde musical de Brahms mon petit… On pensera à vous quand je prendrai ma retraite du Deblocnot…

Petit préambule coup de gueule. J'aurais aimé ne pas parler d'artistes déjà rencontrés dans le blog et dont le talent n'est plus à prouver. Mais, vous connaissez le credo des labels : vendre en jouant sur la popularité des vedettes. Début des années 90, un enregistrement du tout jeune Quatuor Hagen en complicité avec le non moins jeune pianiste Paul Gulda avait bousculé la discographie par sa fougue tempétueuse. Un CD que l'on ne trouve plus qu'à des prix surréalistes sur le net. Quant à un exemple musical YouTube… on en trouve que le début… Cela dit, PolliniQuartetto Italiano, 35 ans et pas une ride.

Brahms jeune
XXXXX
On ne présente plus Johannes Brahms (1833-1897) déjà sujet de 7 chroniques dans le blog. Pour la biographie du compositeur allemand, réellement découvert en France après la seconde guerre mondiale, je vous renvoie à l'index (Clic), et plus particulièrement à l'article consacré aux deux autres quintettes, celui pour alto opus 111 et celui pour clarinette opus 115 (Clic), deux œuvres plus tardives que celui pour piano qui nous intéresse aujourd'hui :  l'opus 34 daté de 1864-1865. 25 années s'écouleront avant la composition des opus 111 et 115, œuvres plus sombres de la maturité.
Le compositeur Brahms est d'importance à l'époque romantique, personne n'en doute. L'homme ne deviendra guère sympathique avec ses confrères en avançant en âge. Bruckner n'est pour lui qu'un "charlatan" wagnérien. Il découragera par maladresse le jeune Hans Rott, ami d'étude et de chambrée du jeune Mahler, comme nous l'avons lu il y a quelques semaines (Clic). Brahms n'était guère un novateur. Mais entre ses symphonies, la splendeur de sa musique de chambre et pour piano, et ses œuvres chorales, il faut bien avouer que les chefs-d'œuvre s'accumulent.
Et puis, même les musiciens ont leurs affaires people. Il profitera de l'internement de Robert Schumann puis de sa mort pour se rapprocher (de très près) de l'épouse puis de la veuve : Clara Schumann, de 14 ans son aînée et qui a déjà six enfants. Il reste quelques lettres enflammées qui ont survécu à l'autodafé d'un amour impossible. Enfin… Revenons à notre quintette pour piano qui date de cette période… 1864-1865. Schumann a rendu l'âme huit ans auparavant. Brahms a la trentaine.
La genèse de ce quintette est aventureuse. Souvent les jeunes compositeurs s'emportent dans des ouvrages trop longs et trop riches en matériau musical, comme pour se prouver qu'ils maitrisent déjà toutes les ficelles du métier. L'âge et l'expérience les conduiront à plus de concision et d'épure. Déjà, lors de l'écriture des quatuors avec piano Opus 25 & 26, le jeune Brahms (à l'instar de son contemporain Dvořák) s'épanchait dans des ouvrages de 40 à 50 minutes.  Le jeune homme récidive avec ce quintette d'une bonne quarantaine de minutes. Mais Brahms va montrer un sens exceptionnel de l'imagination mélodique, du rythme, des variations de climats. On ne s'ennuie pas une seconde !
Il va travailler longuement cette partition qui sera d'abord un quintette à la manière de Mozart (deux altos). Insatisfait, il transcrira cette ébauche sous forme d'une sonate pour deux pianos. Puis Clara, et le chef d'orchestre Hermann Levi, experts en la matière et discernant l'ampleur quasi symphonique de l'œuvre en gestation, lui conseilleront cette formation définitive que Robert Schumann avait découverte lui-même et transcendée en 1842 dans son unique quintette (Clic).
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Quartetto Italiano                                                     Maurizio Pollini
Face à un répertoire assez maigre (moins d'une dizaine d'œuvres majeures), il n'existe pas de quintette avec piano constitué et permanent. Tout l'inverse du trio pour lequel le choix est sans fin (Beaux-arts Trio, Wanderer, etc.). Pour jouer ces œuvres, on assiste à des mariages éphémères entre un pianiste et un quatuor, qui lui est constitué durablement et axe sa carrière d'une vie autour d'un catalogue de quatuors d'une variété infinie.
En 1979 Maurizio Pollini est l'un des pianistes phares du label Dgg. Le Quatuor Amadeus, qui a le même statut, a déjà gravé le quintette avec Christoph Eschenbach. Correct, bien évidemment, mais il serait bon de renouveler le catalogue. Pour Pollini, Dgg voit grand et débauche le Quartetto Italiano en contrat exclusif chez Philips. Cinq italiens pour jouer une musique profondément germanique. La magie va opérer et cette gravure reste malgré quelques critiques de principe l'une des interprétations les plus appréciées. Les critiques viennent plutôt de mélomanes qui, comme moi, pensent que Dgg joue la carte du vedettariat exclusif pour assurer des ventes juteuses depuis des décennies. Et les jeunes ?
Je ne reprends pas la présentation de ces artistes. Maurizio Pollini a fait la une du blog avec son disque consacré aux quatre Scherzos de Chopin (Clic). Quant au Quartetto Italianao, un 6+ lui a été attribué pour son enregistrement culte du 15ème quatuor de Beethoven (Clic).
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Commenter certaines œuvres se révèle ardu. Ne me demandez pas pourquoi, je n'ai pas la réponse. Pour ma chronique récente consacrée à la longue, complexe et géniale symphonie N°7 de Mahler, ma plume (clavier) glissait toute seule. Là, pour ce plus bref et enchanteur quintette, je suis victime du syndrome de la page blanche. On nomme cette situation la leucosélophobie !! C'est fou ce que l'on apprend avec internet. Même le correcteur orthographique ne connait pas, et puis ça sonne vraiment comme une maladie grave !! ;o) Bref de digression.
Si, comme je l'ai déjà dit, Brahms est un romantique peu novateur et qui ne regarde pas vers la musique du futur, il est indéniable qu'il fait œuvre d'une inventivité démoniaque dans les formes classiques qu'il utilise, notamment la forme sonate avec ses quatre mouvements imposés depuis Mozart et Haydn et, les principes d'exposition, réexposition de thèmes bien identifiables. Mais il pousse le bouchon très loin dans les libertés prises avec ces structures académiques, et c'est en cela que je ne vais sans doute pas détailler la richesse de la partition mais plutôt tenter de donner les clés musicales et émotionnelles de ce quintette. Donc, très classiquement, quatre mouvements :

L'Arc-en-ciel de Caspar David Friedrich (1810)
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1 - Allegro non troppo (Fa mineur) : Le piano égrène l'ébauche d'un thème rythmé de quelques notes, accompagné à l'unisson par les cordes jouant discrètement dans un registre grave et interrogatif. On devine que Brahms nous réserve une surprise après ces quelques mesures au climat ambigu. En effet, du piano jaillit énergiquement un premier thème fougueux. Les cordes ne sont pas en reste avec des traits vaillants. Dans sa jeunesse, Brahms aimait ces introductions volcaniques (1er concerto pour piano, 1ère symphonie). Le quintette s'élance avec passion. [0:55] Rapidement une seconde idée plus sereine s'interpose et les premières variations commencent. Brahms nous promène-t-il à travers la campagne, les prés, les couleurs automnales typiques du mode fa mineur ? [3:45] La musique réexpose le thème initial pour satisfaire aux règles de la forme sonate. Et dans une musique d'une telle variété, ce n'est pas une mauvaise chose. Quand Clara Schumann et Hermann Levi discernaient une dimension symphonique à la partition en rédaction, ils avaient mille fois raison. Le mouvement assez long et ambitieux (16:00) va se développer dans plusieurs directions, confier dans sa partie centrale un rôle mystérieux au violoncelle évoquant par de longues plaintes comme un sentiment de tristesse. Après divers lumières et paysages, on atteindra une coda pleine de feux.
Difficile la maîtrise de la formation piano-quatuor ? Oui mais à l'évidence pas pour le compositeur ni pour nos cinq italiens. Que ce soit dans les passages de dialogue entre les cordes et le piano plus percutant ou les échanges plus concertants, la magie opère. Le tempo assez mesuré permet de fluidifier le discours. Maurizio Pollini est au zénith de son talent à cette époque. Son touché est précis et délicat sans trahir le style brahmsien qui confère au jeu de l'instrument une frappe virile. On retrouve chez le Quartetto Italiano, ce jeu détimbré et brillant qui fit leur réputation. L'osmose est idéale. Aucun des instrumentistes ne cherche à se mettre en avant. La fidélité au texte prend le pas sur les virtuosités individuelles. Ce n'est guère une surprise pour ceux qui connaissent ces artistes.

Une Fillette dans un champ, de Ludwig Knaus (1857)
2 - Andante, un poco adagio (La bémol majeur) : une rêveuse respiration introduit le second mouvement au tempo serein comme il se doit dans la forme sonate. Par contre, pas de combinaison de doubles thèmes. Brahms préfère vagabonder au gré d'une comptine musicale qui fait penser à la partition instrumentale qui accompagne le poème d'un lieder. Nous écoutons une tendre ballade dans laquelle, à l'opposé des nombreux passages à l'unisson de l'allegro initial, Brahms donne la parole à tour de rôle aux cinq instruments. Le mot berceuse vient à l'esprit, le monde de l'enfance inspire un soupçon de nostalgie au compositeur. Un leitmotiv ludique fait écho au tableau représentant cette fillette au milieu d'un champ fleuri peint par Ludwig Knaus de l'école allemande du XIXème siècle. Pollini et les Italiano jouent la carte de la romance, du bonheur simple d'un foyer qu'il n'aura jamais. Comme dans l'allegro, la rigueur et la cohésion sont de mise dans ce bel andante.

3 - Scherzo: Allegro (Do Mineur - Do Majeur) : le scherzo s'engage vaillamment : notes staccato au piano et traits incisifs des cordes. Il se dégage un climat fiévreux voire endiablé de cette danse allègre. Les instrumentistes adoptent un jeu enivré et puissant. La prise de son est superbe. En ce mois de janvier 1979, l'ingénieur du son est particulièrement inspiré. Le trio, très bref, ne s'alanguit aucunement. Il gagne légèrement en optimisme par sa tonalité de do majeur. L'interprétation musclée tend vers la gouaille dans cette atmosphère volontairement rustique.

4 - Finale : Poco sostenuto Allegro non troppo – Presto, non troppo (Fa mineur) : Des notes graves et même un peu sinistre nous surprennent dans le début du final. On pense à Beethoven et à son 15ème quatuor. Ce climat tranche considérablement avec la jouissance du scherzo et la bonhommie de l'andante. Cette multitude illimitée d'atmosphères hisse ce quintette sans hésitation au rang des chefs-d'œuvre du genre. [2:00] L'allegro commence réellement, et avec lui une série de variations fantasques qui n'oublient pas les thématiques folkloriques hongroises qu'affectionnait le compositeur des célèbres danses hongroises. À ce sujet, Maurizio Pollini et le Quartetto Italiano n'hésitent pas à recourir pour ces passages à un phrasé hiératique ; on songe à la frénésie d'une danse villageoise un jour de liesse. La coda, a contrario de celles un peu massives de certaines œuvres romantiques, se veut pleine de verve, féérique et enchantée, lyrique et un peu folle.
Maurizio Pollini et le Quartetto Italiano signent une grande version d'une œuvre ambitieuse, gorgée de passion et de poésie. Peu de concurrence à l'ère de la stéréophonie. Je mentionne la version qui m'est chère : l'ensemble Paul Gulda et le Quatuor Hagen en 1992 (Dgg – 6/6). Il y en a peut-être d'autres mais mes recherches sont restées peu enthousiasmantes. Une exception : l'enregistrement  contrasté, voluptueux mais pudique du Quatuor Ébène avec au clavier la jeune pianiste japonaise Akiko Yamamoto. (2009 - Erato - 5/6).



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